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La question de la connaissance a priori en sciences sociales : les points de vue de Simiand, Mises et Simmel

Christian Robitaille

Résumé

Les sciences sociales contemporaines se caractérisent par un abandon de la quête d’une véritable connaissance a priori non-relativiste. D’une part, les méthodes quantitatives et le positivisme méthodologique rejettent en général la possibilité de l’acquisition de ce type de savoir. D’autre part, les méthodes qualitatives et les approches herméneutiques, lorsqu’elles ne cherchent pas explicitement à obtenir des connaissances a posteriori, se caractérisent généralement par un apriorisme sceptique selon lequel l’adoption de n’importe quelle perspective ou cadre théorique est considérée valable. Cet article propose d’évaluer trois perspectives différentes sur la possibilité de la connaissance a priori en sciences sociales, c’est-à-dire celles de François Simiand (critique de l’apriorisme), Ludwig von Mises (partisan de l’apriorisme praxéologique) et de Georg Simmel (initiateur d’un apriorisme formaliste). Cette évaluation comparative permet de mettre en évidence la portée et les limites de l’apriorisme en ce qui a trait à l’acquisition de connaissances en sciences sociales. Elle permet, en dernière analyse, de rendre à l’apriorisme ses lettres de noblesse et d’ainsi faciliter son éventuel retour sous une forme qui échapperait au relativisme actuel.

Début de l’article

Le problème de l’acquisition de connaissances est sans aucun doute le problème le plus fondamental auquel les sciences sociales sont confrontées. En effet, toute exploration empirique d’énigmes sociales présuppose sa résolution. La question la plus élémentaire que suscite ce problème porte sur la nature des jugements qu’il est possible de tirer de l’analyse sociale avec, à tout le moins, un certain de degré de justesse. Cette question n’est pas nouvelle ; Kant distinguait déjà au xviii e siècle plusieurs types de savoirs. Nos jugements sont, d’abord, analytiques ou synthétiques et, ensuite, a priori ou a posteriori (Kant 2012, 31-43 ; 1865, 25-33). Les propositions analytiques sont celles dont le prédicat est contenu dans le sujet ; les propositions synthétiques sont celles dont le prédicat est extérieur au sujet ; les propositions a priori sont celles qui précèdent l’expérience (les sens) ; et les propositions a posteriori sont celles qui découlent de l’expérience.

En réalité, on oublie souvent l’existence de ces différents types de savoir. Car les sciences sociales contemporaines ou bien, en cherchant à imiter les méthodes des sciences naturelles, se sont habituées à ne considérer leurs propositions que comme étant synthétiques a posteriori, ou bien adoptent un apriorisme sceptique. La quête d’une véritable connaissance a priori n’est visiblement plus dans l’air du temps.

On peut penser en effet aux théories et aux méthodes les plus en vogue de notre époque…

Plan

  • Introduction
  • I. François Simiand et la critique de la connaissance a priori
    1. 1.1. Contre le finalisme
    2. 1.2. Le problème de l’abstraction à partir d’hypothèses non-démontrées
    3. 1.3. Vers une connaissance positive de lois a posteriori ?
  • II. Ludwig von Mises, la praxéologie et l’histoire
    1. 2.1. De la nécessité du finalisme en sciences sociales
    2. 2.2. Du statut a priori de la praxéologie
    3. 2.3. De l’insuffisance de la praxéologie et du rôle de l’histoire
    4. 2.4. La thymologie comme étude historique des fins et des motivations
  • III. Georg Simmel et l’apriorisme des formes sociales
    1. 3.1. Les formes sociales
    2. 3.2. Du caractère a priori des formes culturelles
    3. 3.3. Le relativisme
    4. 3.4. Des critères présidant au choix des formes dans l’analyse sociale
    5. 3.5. De la possible cohérence entre les approches de Mises et de Simmel
  • Conclusion

Mots-clés


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