Les mathématiques comme outil ou comme révélateur : reconstruction d’un débat silencieux entre Walras et Pareto

Cet article se propose d’ajouter un argument à la dés-homogénéisation des contributions de Walras et Pareto, en montrant que, même ce qui reste considéré comme le point commun par excellence entre Walras et Pareto – leurs instruments analytiques permettant une représentation mathématique de l’équilibre économique général – n’a pas le même statut. Walras et Pareto revendiquent tous deux la pertinence des mathématiques pour faire progresser la science économique, mais leur interprétation épistémologique du rôle des mathématiques en économie est radicalement différente, voire contradictoire. L’article montre que les mathématiques sont articulées à une forme de déterminisme chez Walras, tandis qu’elles permettent la liberté individuelle chez Pareto. Cette opposition entre liberté et déterminisme est rattachée à celle qui distingue les mathématiques comme langage de la Nature (chez Walras) aux mathématiques comme outil au service de la science (chez Pareto).

Rawls et l’utilitarisme classique : une vision parétienne

Les relations controversées entre Rawls et l’utilitarisme classique sont toujours étudiées à travers le prisme kantien. Pourtant, historiquement, c’est le rapprochement avec Pareto qui doit s’imposer pour comprendre les fondements de la critique rawlsienne de l’utilitarisme. La genèse de la position originelle met au premier plan le désintérêt mutuel et non le voile d’ignorance, cette volonté de construire une théorie concurrente à l’utilitarisme à partir des individus en conflit, par respect des intérêts individuels est un argument parétien. D’ailleurs, les critiques adressées par Rawls et Pareto à Bentham ont de nombreux points communs. Mais pour construire une théorie de la justice, il faut une forme de mesure commune des désirs, et cette idée est étrangère à la doctrine parétienne. L’étude de la relation entre Pareto et Rawls sur le thème de l’utilitarisme classique doit également souligner cette divergence et tenter de l’interpréter. Nous défendrons l’idée suivante. Cette forme de commensurabilité parétienne est le pendant du désir kantien. Dans les débats sur les relations que Rawls entretient avec l’utilitarisme, ces deux notions sont au cœur des interprétations.