Le partage des raisons

Pour une théorie de la justice comme équité, l’accusation la plus dommageable est celle selon laquelle les prémisses normatives de la théorie seraient d’emblée inéquitables. Or c’est précisément un doute de ce type qui fut formulé dès la publication de la Théorie de la justice, et qui conduisit en particulier Thomas Nagel à demander si la liste des biens premiers distribués par les principes de la justice rawlsiens aurait été élaborée à partir de prémisses biaisées et inéquitables. C’est cette critique qui nous occupe, avec une attention particulière à la réponse apportée par Rawls dans ses derniers écrits et dans sa définition d’un libéralisme dit « politique ». Alors que la plupart des critiques ont considéré que Rawls opérait un retrait, limant de sa théorie beaucoup de ce qui la rendait ambitieuse et égalitaire, au profit d’une plus grande attention au pluralisme des valeurs, il faut au contraire voir dans cette évolution la volonté d’approfondir l’intention libérale initiale de la théorie rawlsienne de respecter les individus et les différences individuelles. Le libéralisme politique part des raisons que nous partageons, quelle que soient nos valeurs et notre conception de la vie bonne, pour construire un cadre de justice dans lequel nous puissions tous nous épanouir. Il vise donc à réconcilier l’attrait de l’égalitarisme avec le respect dû à chaque personne en étendant la sollicitude à l’égard de chaque personne à l’exigence de justification égale des principes de justice aux individus.

Rawls a-t-il une conception de la citoyenneté ?

La conception traditionnelle de la citoyenneté : intégration et création d’une communauté nationale solidaire, ne doit-elle pas être profondément modifiée en l’absence d’homogénéité culturelle des populations concernées ? A ce souci, Rawls répond par une solution complexe qui est celle d’un libéralisme « politique » dans lequel les questions politiques essentielles qui concernent, par exemple, la Constitution ou les débats de principe, seraient réglées grâce à des principes dérivés de la conception que les citoyens se font d’eux-mêmes : comme des personnes libres et égales, donc sans faire intervenir de référence à des valeurs personnelles ou à des conceptions substantielles du Bien. Cette solution implique donc une conception de la citoyenneté qu’à partir d’une réflexion sur le dialogue entre Habermas et Rawls, on cherchera à dégager, plutôt du côté d’une réinterprétation de la « position originelle » que dans la conception politique de la personne que Rawls propose.

Adam Smith, précurseur des philosophies de l’histoire

L’œuvre smithienne doit être lue comme un système reposant sur des principes épistémiques clairement identifiés unifiant les différents champs exploratoires : la morale, le droit et l’économie. Ces principes renvoient à la vision du monde d’Adam Smith, dans laquelle le Créateur a conçu les éléments du système, et particulièrement les hommes, de telle sorte qu’ils remplissent naturellement ses objectifs. Cette conception téléologique s’applique à l’histoire et à sa philosophie, dans des termes qui trouveront écho chez Kant et Hegel. L’articulation de l’histoire et de l’économie permet de définir un cours idéal du développement économique, mais aussi de comprendre la formation de cycles historiques qui marquent la lente et progressive marche vers le Progrès. Les tensions entre un cours idéal et un cours réel de l’histoire invitent alors à réinterpréter ses positions sur l’Etat et sa place dans la société marchande.

Comment peut-on être parétien ? L’économie du bien-être de l’utilitarisme au libéralisme

L’économie du bien-être parétienne est généralement conçue comme une variété de l’utilitarisme classique caractérisée seulement par des hypothèses différentes à propos de l’information dont disposent les décideurs. Mais on montre ici que ces hypothèses conduisent à une transformation plus profonde du sens de cette théorie quand leurs conséquences sont étudiées à la lumière d’un principe de « validité informationnelle » qui est implicite mais dont l’importance est trop méconnue. L’application de ce principe fait converger les prescriptions parétiennes et libérales et l’économie du bien-être parétienne apparaît essentiellement comme le moyen de donner un contenu conséquentialiste à un libéralisme déontologique.