Résumé
Cet article s’attache d’abord à présenter la pensée d’Augustin telle qu’elle est exposée dans son ouvrage intitulé l’Ordre. À la suite de quoi, il analyse l’influence de ce livre sur les deux façons d’aborder la science moderne, celle rationaliste et cartésienne des jansénistes Arnauld et Nicole, et celle empirique de Bacon, dont il est montré qu’elles constituent deux façons différentes de faire face à une nature humaine à la Augustin, c’est-à-dire, profondément corrompue. Puis, sont abordées les proximités et les divergences entre la pré-théodicée augustinienne issue du livre l’Ordre et la théodicée de Leibniz. Sur ce point, l’existence tant chez Smith que chez Augustin d’un écart irrémédiable entre la pensée de l’homme et le cours de la nature, les éloigne irrémédiablement de Leibniz et Malebranche, ainsi que de l’ordre des physiocrates. Au-delà de cet aspect, est posée également la question, déjà présente dans l’Ordre, de la manière dont la nature humaine peut être disciplinée. Les augustiniens français Arnauld et Nicole optent pour l’élitisme, l’État et une société d’inspiration organiciste ou d’ordres, quand l’augustinisme de Bacon et de ses suivants tend à soutenir que tous les hommes peuvent, grâce à la disciplina, se perfectionner ce qui implique un besoin moindre sinon d’un gouvernement, du moins d’une structure étatique. Cet augustinisme tend à conférer une logique interne au système de la liberté naturelle d’Adam Smith où le spectateur impartial, le marché, la science de l’économie et les lois peuvent être analysés comme contribuant à discipliner la partie irrationnelle de l’homme.
Début de l’article
À la fin du XVIIe siècle et dans la première partie du XVIIIe siècle, au moment où émerge l’économie politique, les notions d’ordre et de système sont à l’honneur. Malebranche (1638-1715) insiste sur l’ordre, un concept que reprendront les physiocrates. Hume (1711-1776) présente les systèmes sceptiques dans la quatrième partie du livre I de son traité de la nature humaine. Condillac (1714-1780), quant à lui, écrit en 1749, son Traité des systèmes où il oppose les systèmes abstraits, ceux notamment de Malebranche et de Leibniz (1646-1716), à celui plus expérimental de Newton (1643-1727) dont Smith est proche. Tous ces développements justifient de s’intéresser à l’un des premiers ouvrages portant sur ce thème, à savoir l’Ordre d’Augustin d’Hippone (354-430). Cela se justifie d’autant plus que s’il existe des travaux portant sur le lien entre Smith et Augustin, ils font rarement référence à ce livre, préférant se focaliser sur Les Confessions ou sur la Cité de Dieu. C’est le cas, notamment, des articles d’AMC Waterman (2002), d’Éric Gregory (2011) et de Michaël Biziou (2016). Enfin, nombre d’études ont porté ces dernières décennies sur les notions d’ordre et de système chez Smith. Pour mémoire, rappelons que Fizgibbons a écrit un livre intitulé Adam Smith’s System of Liberty, Wealth, and Virtue (1995), Andrew Stewart Skinner en a titré un autre A system of Social Science (1996) tandis que l’introduction du livre de Michaël Biziou, Adam Smith et l’origine du libéralisme (2003) s’intitule …