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Une perspective confucéenne sur les droits de propriété

Daniel A. Bell et Yara Boehlen

Résumé

Tout au long de l’histoire de la Chine, les confucéens se sont opposés au contrôle rigoureux du gouvernement légiste et ont mis en garde contre les effets négatifs de l’intervention de l’État dans l’économie. Cela ne s’est toutefois pas traduit par l’approbation d’un régime de droits de propriété privée sans entraves. Du point de vue confucéen, l’État a l’obligation de garantir les conditions du bien-être matériel de base de la population et celle-ci est prioritaire sur la promotion du marché libre, ce qui devrait inspirer un régime justifiable de droits de propriété.
Historiquement, les confucéens ont plaidé pour l’abolition des monopoles d’État sur le sel et sur le fer sous la dynastie Han, tandis que le système du « champ de captage » chez Mencius a permis à l’État d’attribuer des terres sur des fondements égalitaires. Ces exemples montrent que l’objectif principal des penseurs confucéens n’est ni un contrôle absolu de l’État sur l’économie, ni une forme de marché libre, mais plutôt un mixte pour le bien-être de la population.

De nos jours, une attention particulière est accordée aux valeurs confucéennes dans les régimes de droits de propriété en Asie de l’Est et elle semble inciter les États à redistribuer les ressources de façon égalitaire, par exemple sous la forme d’une portion importante de logements sociaux, à Singapour et à Hong Kong ou, dans le secteur agricole en Chine, de la renaissance moderne du système du « champ de captage » de Mencius sous Deng Xiaoping. Dans ces exemples, l’accès de la population à la terre et au logement sont les garanties de son bien-être matériel basique : c’est ce qui a été privilégié sur un marché immobilier libre (voire libertarien). Une valeur centrale pour la garantie du bien-être matériel de base était le fait Mencius et Confucius, qui considèrent la survie du peuple comme condition préalable nécessaire au bon fonctionnement de tout ordre étatique.

Alors que l’idée selon laquelle le confucianisme s’oppose en fait aux droits de propriété privée est largement répandue, cet essai suggère que le confucianisme propose plutôt sa propre théorie de la propriété. Au lieu de contester les droits de propriété en tant que tels, il remet en question les conceptualisations européennes et américaines de ces droits. Fondamentalement, la théorie confucéenne de la propriété considère que les droits de propriété sont « particularistes » et relatifs à d’autres considérations sociales. Par conséquent, ces droits peuvent primer sur les droits individuels, si besoin est. Cette notion confucéenne de la propriété peut non seulement être considérée comme une alternative à la conception libérale occidentale de la propriété, mais elle peut également offrir un point de départ viable pour examiner une multitude de notions de droit façonnées dans un contexte international. S’éloigner d’une notion centrée sur l’Occident et prendre en compte d’autres théories, comme le confucianisme, peut s’avérer crucial non seulement pour l’État chinois dans l’élaboration de ses lois et de ses règlements, mais aussi pour la communauté internationale lors de la rédaction d’accords véritablement internationaux.

Cet essai montre comment les droits de propriété de type confucéen ont influencé le fonctionnement des pays d’Asie de l’Est d’héritage confucéen et continuent de le faire.

Plan

  • Introduction
  • Réflexions liminaires
  • Sur la sélection de valeurs confucéennes réalisables pour les sociétés modernes
  • La valeur primordiale du bien-être matériel
  • Exporter le confucianisme ?
  • Conclusion

Mots clefs

Classification JEL : P14

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