Le Capital lu par Moishe Postone : alchimie ou astrologie ?

Le livre de Moishe Postone, Temps, travail et domination sociale, (Postone 1993), se donne comme une interprétation hégélienne du Capital de Marx. Le capital est le grand sujet qui se meut lui-même sous la pulsion de la valeur. Son « mouvement » est référé non à des rapports de classe, ni au marché (supposé extérieur au travail), mais à la contrainte temporelle inhérente à une dialectique propre à la valeur, qui nous enchaîne tous dans un procès infini de travail abstrait. Le règne de la valeur détruit le monde concret des valeurs d’usage. Et cela jusqu’à ce que l’on prenne conscience de la contradiction entre ce qu’est la société capitaliste et ce qu’elle « devrait être ». Un tel exposé, fondé sur une méthode consistant à interpréter cette œuvre à partir de son brouillon, les Grundrisse, négligeant les 15 années de réélaboration qui ont suivi, est, selon l’auteur, construit sur la base de multiples confusions concernant les concepts marxiens ici en jeu : travail, domination, valeur, valorisation, abstraction, production.

Herméneutique et économie. Le valorisé, le valorisant, le valorisable

L’objectif de la présente contribution est de dégager les conditions de possibilités (et les limites) de l’extension du paradigme herméneutique à la science économique. La discussion porte sur le projet épistémologique qui cherche dans les sciences textuelles une matrice susceptible de contrer les prétentions positivistes des économistes néo-classiques. Plutôt que d’expliquer les mécanismes du marché sur le modèle des sciences naturelles pour en dégager des lois propres, il s’agit d’en comprendre le sens sur le modèle d’un texte à interpréter. Le prix à payer de cette extension épistémologique est de sacrifier la part explicative de la science économique et la place des institutions.

Une source philosophique de la pensée économique de Carl Menger : L’éthique à Nicomaque d’Aristote

L’influence des écrits d’Aristote sur la pensée de Carl Menger a souvent été évoquée par les historiens de la pensée économique, de Kraus à Barry Smith. Le livre V de l’Éthique à Nicomaque contient en effet les prémisses de la question de la valeur que reprit le fondateur de la pensée  » autrichienne  » (de Böhm-Bawerk à Hayek). La preuve philologique formelle de ce rapprochement se trouve dans la correspondance stricte qui existe entre les notes manuscrites de Menger sur sa copie de l’Éthique à Nicomaque et ses propres Grundsätze der Volkswirtschaftslehre (1871). La théorie de Menger, qui fait de la valeur une évaluation subjective strictement individuelle, accepte la théorie de l’essence et l’échelle aristotélicienne des biens fondée sur le triptyque antique « survivre- vivre / bien-vivre”. Son concept grec reparaît chez Menger dans l’attribution par l’agent d’une valeur aux divers biens qui peuvent satisfaire ses besoins (Bedürfnisbefriedigung). L’enquête de « première main » que nous avons menée sur les textes de l’exceptionnel Fonds Menger conservé au Japon éclaire cette source par la lecture que fit Menger des textes antiques et des annotations qu’il y porta. Elle offre également une piste d’éclaircissement des divergences existant entre l’ouvrage publié en 1871 et sa seconde édition (posthume, 1923) par son fils, le mathématicien Karl Menger. La relecture mengérienne de l’Éthique à Nicomaque constitue ainsi l’occasion d’un véritable examen du work in progress de la pensée de Carl Menger.