Les neurosciences sont utilisées en économie dans l’objectif d’améliorer la compréhension et la description des choix individuels. Elles permettent aussi d’évaluer la rationalité des décideurs et de réguler les comportements. Cet article analyse les implications normatives de la neuroéconomie, en dégageant les apports des neurosciences à l’économie du bien-être et à l’économie publique. L’interventionnisme économique défendu par les neuroéconomistes (par exemple, Bernheim et Rangel 2004) y est interprété comme une politique caractéristique du néo-libéralisme, au sens qu’en donne Michel Foucault (1978b). Si la neuroimagerie ne permet pas de « manipuler » directement le cerveau des décideurs, elle offre en revanche la possibilité de détecter le caractère pathologique ou irrationnel de certaines conduites. Ce diagnostic justifie une régulation comportementale du bien-être, qui doit être distinguée du paternalisme libertarien de Sunstein et Thaler (2003). Dans les deux cas, c’est l’environnement plutôt que le décideur lui-même qui est la cible de l’intervention, mais la justification théorique n’est pas la même. Pour les neuroéconomistes, l’irrationalité d’un comportement tel que l’addiction ne résulte pas d’un biais cognitif de l’individu, mais de son interaction avec un environnement pathologique. Les réflexions normatives des neuroéconomistes s’inscrivent dans le prolongement théorique des réflexions de Michel Foucault sur la biopolitique et le néolibéralisme (Foucault 2004b). Notre étude vaut ainsi comme une contribution à l’étude de la gouvernementalité. Elle nous conduit à défendre une interprétation non-réductionniste des rapports entre savoir et pouvoir chez Foucault.