La critique de Jean-Jacques Rousseau à la société de son temps souligne son injustice. Une société composée d’individus guidés par leur amour-propre dont les rapports sociaux se réduisent à des échanges marchands conduit à la perte de l’égalité et à l’approfondissement des inégalités artificielles. Une philosophie sociale et politique construite sur la base d’une telle société, reproduisant ces caractéristiques, conduit vers la naturalisation des rapports et des abus présents dans son sein en s’occupant plutôt d’efficience que de justice. Rousseau propose une alternative non seulement à cette société injuste mais aussi à la philosophie sociale et politique y associée. La construction de cette alternative commence par une économie de l’abondance et du partage, telle celle décrite dans Julie ou la Nouvelle Héloïse. Il s’agit d’une économie dans laquelle rapports moraux, économiques et affectifs sont confondus fondant une organisation économique juste caractérisée par la non-envie. Chaque individu participe à la production de la richesse sociale par son travail et chacun reçoit sa part de cette richesse lui permettant d’occuper sa place sans vouloir en sortir. Il ne s’agit pas d’une société égalitaire mais d’une société juste et, en conséquence, sans envie. Cette économie n’est que le point de départ du projet social car la justice ne peut être atteinte que par la politique. Cette vision explique pour quoi Rousseau s’oppose à la science nouvelle des physiocrates comme philosophie sociale car l’économie est un discours sur l’efficience qui ne peut rien dire sur la justice. Cette exploration permet de tirer des points de rapprochement et d’éloignement entre l’analyse de Rousseau et l’économie du bien-être. En particulier, il serait possible de trouver des points communs entre l’économie de l’abondance de Rousseau et les équilibres de non-envie, explorés par la théorie économique de la justice. Néanmoins, ces points sont limités car la situation envisagée par Rousseau implique une transformation profonde de l’individu lui-même qui ne sera plus guidé par l’amour-propre.