L’influence des écrits d’Aristote sur la pensée de Carl Menger a souvent été évoquée par les historiens de la pensée économique, de Kraus à Barry Smith. Le livre V de l’Éthique à Nicomaque contient en effet les prémisses de la question de la valeur que reprit le fondateur de la pensée » autrichienne » (de Böhm-Bawerk à Hayek). La preuve philologique formelle de ce rapprochement se trouve dans la correspondance stricte qui existe entre les notes manuscrites de Menger sur sa copie de l’Éthique à Nicomaque et ses propres Grundsätze der Volkswirtschaftslehre (1871). La théorie de Menger, qui fait de la valeur une évaluation subjective strictement individuelle, accepte la théorie de l’essence et l’échelle aristotélicienne des biens fondée sur le triptyque antique « survivre- vivre / bien-vivre”. Son concept grec reparaît chez Menger dans l’attribution par l’agent d’une valeur aux divers biens qui peuvent satisfaire ses besoins (Bedürfnisbefriedigung). L’enquête de « première main » que nous avons menée sur les textes de l’exceptionnel Fonds Menger conservé au Japon éclaire cette source par la lecture que fit Menger des textes antiques et des annotations qu’il y porta. Elle offre également une piste d’éclaircissement des divergences existant entre l’ouvrage publié en 1871 et sa seconde édition (posthume, 1923) par son fils, le mathématicien Karl Menger. La relecture mengérienne de l’Éthique à Nicomaque constitue ainsi l’occasion d’un véritable examen du work in progress de la pensée de Carl Menger.
Étiquette : Ethique
La question du bonheur : L’éthique de la joie, Robert Misrahi
Les philosophes n’accordent plus guère aujourd’hui à la question du bonheur toute l’attention qu’elle mérite sauf pour dire qu’elle n’a aucun intérêt et ce terme n’appartient plus au vocabulaire des économistes qui lui préfèrent celui de bien-être qu’ils considèrent moins chargé métaphysiquement. Pourtant la disparition de cette question semble être largement liée à la diffusion d’une anthropologie philosophique particulière que rien ne semble pourtant imposer d’évidence. Les philosophes et les économistes conçoivent les individus comme des êtres mus par un désir qu’ils définissent, à la suite de Platon, comme un manque à combler. Se faisant, ils ne pouvaient que déboucher, comme l’avait bien vu Hobbes et Pascal, sur un pessimisme philosophique et une éthique minimaliste. En définissant le désir comme puissance, et non plus comme espérance, Misrahi, à la suite d’Aristote et Spinoza, insuffle un nouvel élan à la philosophie morale qui débouche sur une éthique de la joie praticable. Cet article veut montrer l’importance que devrait avoir l’œuvre de Robert Misrahi pour l’économiste lorsqu’il abandonne ses domaines traditionnels d’investigation pour s’intéresser aux problèmes normatifs et plus particulièrement d’éthique. Pour cela, dans une longue introduction, l’œuvre de Misrahi est replacée dans son contexte intellectuel. Puis, dans une première section, sont étudiés les origines, les fondements et la méthode de son éthique de la joie. Enfin, dans une seconde section, est dénoncée la thèse de la double transparence qui l’imprègne sans que pour autant elle en obère les gains potentiels.