À première vue, les idées morales de l’abbé de Condillac (1714-1780) – et contrairement à celles de son frère Mably – ne doivent pas être comptées au rang de ses succès. Sans postérité apparente, elles ont surtout souffert d’un étonnant manque de notoriété dès le siècle des Lumières et ce jusqu’à nos jours. Aucun des grands commentateurs, contemporains ou plus anciens, de la pensée du philosophe ne s’y est arrêté avant que deux thèses de doctorat récentes ne viennent remettre en cause cet état de fait. Leurs interprétations des idées morales de Condillac sont cependant assez divergentes. La première s’appuie principalement sur l’Essai sur l’origine des connaissances humaines (1746) et conclut à une forme particulière de morale déontologique. Celle-ci s’appuierait sur la connaissance du principe de conservation de soi, limitatif de la volonté et créateur de devoirs, au travers du langage articulé des êtres humains. La seconde, s’appuyant sur le rôle des besoins et le « calcul des plaisirs et des peines », tente d’inscrire la morale condillacienne dans une optique plutôt utilitariste. Cet article s’inscrit clairement dans cette seconde perspective. Il s’attachera d’abord à présenter en quoi les principes de l’association humaine (de « l’état de nature » au « contrat ») et de la morale sont chez Condillac le résultat de la nécessité de « se conserver », cette dernière notion devant être entendu au sens large de la satisfaction de tous les besoins de l’homme social. Nous verrons ensuite comment Condillac propose un véritable « calcul moral » qui conduit les individus à agir vertueusement tout en n’ayant pour objet que leur intérêt propre. Enfin, la conclusion inscrira cette théorie morale au carrefour des conceptions de Jean-Jacques Burlamaqui et celles des utilitaristes français de la seconde moitié du xviii e siècle, les idées de Condillac constituant finalement un pas supplémentaire, par rapport au droit naturel, vers une morale conséquentialiste.
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Smith face au « système de l’optimisme » de Leibniz
Le but de cet article est d’étudier en quoi la notion de système, développée par Smith, se différencie du système d’harmonie préétablie de Leibniz appelé aussi, au XVIIIe siècle, système de l’optimisme. Depuis les travaux de Jon Elster, nous connaissons l’influence du philosophe de Hanovre dans l’architectonique du capitalisme ou plutôt, devrions-nous ajouter, dans celle du laissez-faire. Nous savons, par ailleurs, qu’une controverse a opposé, au moment précis où Smith commençait à écrire son œuvre, les tenants du système de l’optimisme aux « newtoniens » dont les trois figures clés étaient en France d’Alembert et Condillac au plan épistémologique, Voltaire au niveau littéraire. Nous verrons que cette controverse, qui porte principalement sur le concept de liaisons ou de lois qui lient les éléments d’un système, traverse le siècle et prolonge celle qui a opposé Newton à Leibniz. Après avoir présenté le système de l’Optimisme, nous étudierons comment situer Smith dans ce débat. Pour cela, nous nous centrerons nos analyses sur trois points clés du système de l’optimisme : la notion de monade ; la notion même de système avec ses enjeux architectoniques, théoriques et politiques ; et enfin le problème de la maximisation. Cette étude nous conduira enfin à proposer une interprétation de la « main invisible » plus en empathie avec l’architectonique smithienne telle qu’elle se dévoile dans ce travail.