Résumé
En ces temps d’avenir perdu, les sociétés sont des sociétés spéculatives, qu’elles le veuillent ou non. Alors que la crise financière de 2007–2008 s’est transformée en une myriade de crises politiques dans les années qui ont suivies. En effet, l’esprit d’un âge néo-biedermeierien et les programmes politiques axés sur la stabilité sont devenus le modus operandi de l’Occident dans les contextes économiques et bien au-delà. Le désenchantement du néolibéralisme et son eschatologie politique dans un large éventail de domaines socioculturels perdurent des deux côtés de l’Atlantique, tout autant que l’aporie des sociétés qui tentent de sauver le statu quo même si celui-ci avait perdu son chemin. En conséquence, les sociétés actuelles seraient, même sans le désirer, des sociétés spéculatives.
Des éclaircissements sur la notion même de spéculation apparaissent alors nécessaires. Cet article vise à offrir ces éclaircissements. Pour cela, cet article s’appuie sur le cadre réglementaire d’après-crise de Bâle III. Cette analyse philosophique est d’autant plus éclairante si le « désarmement de la politique » (Habermas 2018, ma traduction) au nom de politiques prétendument inévitables, à vocation sécuritaire et stable, peut constituer l’objet de critique. Cet article est, par conséquent, une esquisse philosophique. Ce qui suit est une série de réflexions sur le concept de spéculation au-delà des frontières de la compréhension financière ou économique actuelle et, enfin, de minuscules manifestes sur la façon dont les études philosophiques et autres pourraient mobiliser et affiner ce concept. Tout d’abord cet article offre une histoire conceptuelle de la notion de spéculation (section deux). Dans un deuxième temps, les effets instables de l’aporie de stabilité concernant des régularisations financières sont analysés (section trois). Enfin, les bases pour un renouveau du concept de spéculation, utile pour la philosophie et qui maîtrise les apories des sociétés spéculatives, sont développées (section quatre).
Si la philosophie ne peut prévenir la pensée d’être parfois large et incertaine, la philosophie peut sans doute être appréhendée comme un « hybride onto-épistémique-éthique », en recourant à la notion de spéculation. C’est ce que cet article suggère : offrir un langage qui pourrait permettre de penser la « spécularisation » des mondes sociaux en ce début du xxi e siècle. C’est à dire, le passage de la politique des classes à la politique identitaire (représentant les cultures plutôt que les classes), du capitalisme industriel à la politique culturelle (vendre des valeurs au détriment des fonctions) et des acteurs rationalisés au conservateur (choisir entre des identités à la place des préférences).
Mots-clefs : Philosophie spéculative, Post-libéralisme, Théologie politique, Crise financière de 2007-2008, Bâle III