(Marseille, 1950 – Paris, 2020)
Le Comité éditorial de la Revue de Philosophie Economique / Review of Economic Philosophy salue avec admiration et affection la mémoire de Philippe Mongin, récemment disparu. Ancien directeur de la publication (avec Daniel Hausman) de la revue Economics and Philosophy, Philippe Mongin avait également compté parmi les premiers soutiens de notre Revue. Il lui a permis de bénéficier de sa compétence exceptionnelle, de sa vaste culture, de son ouverture aux débats théoriques internationaux et de son exigence méthodologique.
Formé à la philosophie et aux mathématiques, il avait investi les domaines de l’analyse de la décision et de l’économie sans jamais se départir des exigences qui, à ses yeux, rendaient nécessaire un retour fréquent à la philosophie et aux mathématiques, pour ne pas perdre de vue l’argumentation, la preuve, la maîtrise complète d’un processus cohérent d’acquisition de connaissances. Inquiet de la méthode, Philippe Mongin mettait volontiers en communication l’avancement des sciences et l’épistémologie générale (domaine fortement structuré pour lui par l’héritage revendiqué du positivisme logique et par les travaux de Karl Popper et d’Imre Lakatos). Son association durable aux travaux de l’Institut d’Histoire et de Philosophie des Sciences et des Techniques, à la Sorbonne, en a témoigné.
C’est avec un esprit de rigueur, frappant pour ses lecteurs et pour ses collègues, qu’il a abordé les grands domaines de la théorie de la décision et des sciences économiques, montrant une grande générosité dans l’accompagnement des recherches entreprises par d’autres, notamment les doctorants qu’il a dirigés ou suivis. Circulant avec aisance d’un pays à un autre et entre les institutions d’accueil (dans la fidélité à son cher CNRS), jouant un rôle des plus importants dans plusieurs communautés de recherche, il put réaliser des contributions décisives.
Ainsi, nul ne peut ignorer sa contribution à la théorie des choix collectifs (avec le réinvestissement dans un cadre « multi-profil » des fameux théorèmes dits « utilitaristes » de J. Harsanyi). C’est également à lui que l’on doit une caractérisation exacte des choix méthodologiques possibles dans la théorie des choix individuels en situation d’incertitude ou de risque, face à l’émergence puis à la consolidation des grands paradoxes venus de l’observation empirique et de l’expérimentation (en particulier dans son travail sur la thèse de Duhem-Quine sollicitée en rapport avec le « paradoxe d’Allais » et la théorie de l’espérance d’utilité). On lui doit encore l’examen épistémologique le plus subtil, sans doute, de la place du « postulat » de la maximisation du profit dans la méthodologie friedmanienne de l’économie positive. Il se consacra également avec passion à la théorie de l’agrégation des préférences et à de nombreux autres domaines, allant de la mesure de l’utilité à la stratégie militaire, en passant par la macro-économie et les risques nucléaires.
Ayant déployé ses premiers efforts de chercheur à propos de l’œuvre de Karl Marx (sous la direction de Raymond Aron), très bon connaisseur aussi de l’utilitarisme et de certaines contributions importantes à la théorie économique dite néoclassique, à la macro-économie et à la théorie des jeux, il était familier de la complexité des rapports entre conviction personnelle et raisonnement objectif, entre idéologie et science. Les travaux de séminaire – par exemple, dans « Méthodologie de la science empirique » avec Alain Boyer, ou encore dans le séminaire parisien sur la justice sociale et l’économie normative, dont il fut l’un des responsables – étaient pour lui une sorte de milieu naturel, propice à l’examen approfondi des questions les plus difficiles.
Philippe a quitté ce monde au terme d’une maladie pénible, montrant à ses collègues et à ses amis, dans ces circonstances, une attention marquée aux autres. Conscient des limites de l’empathie et du jeu des sentiments en matière de science sociale et de philosophie, il aura cependant embrassé des causes et témoigné à sa manière de l’importance des enjeux humains et de l’engagement personnel face aux problèmes sociaux, économiques et politiques de notre temps. Endosser un rôle public au moment opportun et témoigner de la valeur de la science, c’était pour lui tout un. Dans son rôle de conseiller économique, il connaissait le prix d’un maniement responsable des modèles et des protocoles de mesure.
Aux frontières de l’économie et de la philosophie, les chercheurs savent ce qu’ils lui doivent, pour ne rien dire de ses disciples proches. Confions à l’histoire de la pensée, mais aussi aux tâches nécessaires d’une épistémologie rigoureuse et créative, telle qu’il en donnait l’exemple, le soin de faire comprendre les acquis de ses recherches et de déterminer les meilleures manières de suivre les pistes fécondes qu’il lui a été donné d’ouvrir.
Le comité éditorial de la Revue de philosophie économique