La religion industrielle. Pierre Musso (Paris, Librairie Artheme Fayard, 2017)
Contrairement à ce qu’annonce son sous-titre, le livre de Pierre Musso est moins « une généalogie de l’entreprise » qu’une géologie de la religion industrielle sous la forme d’une coupe stratigraphique de neuf siècles de sédimentation des manifestions conjointes du mystère de l’incarnation et de la rationalité depuis la révolution grégorienne jusqu’à la révolution cybernétique. La croyance dans l’incarnation du Verbe dans la chair est pour Pierre Musso l’élément clé de la religion industrielle. L’auteur retient que le mot d’industrie signifie projection du souffle intérieur vers l’extérieur par l’action créatrice humaine reproduisant la création divine. Le mot industrie subira trois évolutions sémantiques majeures de la fin du ixe siècle à nos jours. Au temps des monastères il signifie l’« habileté », avec la manufacture il signifie le « métier », et enfin au temps de l’usine il renvoie à l’« entreprise ». À chaque époque l’esprit industriel s’empare du mystère de l’Incarnation et l’inscrit dans divers grands corps pour transformer le monde : ceux du Christ, de la Nature, de l’Humanité et de l’Ordinateur.
À la manière du Montesquieu des Lettres Persanes, l’auteur porte un regard anthropologique sur l’Occident. Il fait l’hypothèse que l’industrialisation n’est pas simplement un phénomène historique mais le déploiement d’une imago mundi. Il s’agit de l’avènement d’une vision du monde, au sens de religion séculière chez Raymond Aron qui voyait dans les totalitarismes du xxe siècle le fruit non pas d’une disparition du sacré mais de son déplacement hors du christianisme vers de nouvelles voies de salut immanentes…