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Dictionnaire des conventions : Autour des travaux d’Olivier Favereau, Philippe Batifoulier, Franck Bessis, Ariane Ghirardello, Guillemette de Larquier, Delphine Remillon (éd.) par Bruno Ventelou

Dictionnaire des conventions : Autour des travaux d’Olivier Favereau, Philippe Batifoulier, Franck Bessis, Ariane Ghirardello, Guillemette de Larquier, Delphine Remillon (éd.) (Presses universitaires du Septentrion, 2016)


A l’occasion d’un hommage rendu aux travaux et à la personne d’Olivier Favereau, économiste, professeur à Nanterre, le Dictionnaire des conventions : autour des travaux d’Olivier Favereau publié en 2016 propose un excellent ouvrage œcuménique qui permet au lecteur de rassembler ses idées sur ce courant de pensée : son apport à la réflexion économique, son état de développement et ses perspectives à l’égard de la pensée économique standard, telle qu’elle est majoritairement représentée dans le monde académique. Car il ne faut pas être dupe, l’occasion est surtout pour les auteurs de se positionner à l’égard du « mainstream » et de réévaluer l’apport critique de la théorie des conventions eu égard à la pensée économique dominante (page 15, on trouve une définition de l’économie des conventions comme « une nouvelle façon de faire de l’économie » et non pas comme l’application des raisonnements économiques à l’objet « convention »).

Un point très important de la théorie des conventions est son refus du réductionnisme qui selon elle grève la pensée standard et l’empêche désormais de se développer et, au fond, d’être pertinente sur le monde. Le grand pari réductionniste de la pensée standard –vue par les conventionnalistes- est une forme de « désencastrement » qui consiste à isoler la décision de l’acteur économique de son contexte sociologique, politique, anthropologique, etc. Cette approche réductionniste a été efficace ; elle permet une vision simplifiée de l’individu, l’homo-œconomicus, qui ouvre/rend ensuite possible l’étude d’interactions complexes, à travers notamment l’échange marchand (mais pas seulement). On obtient par exemple l’étude de l’équilibre général des marchés et les théorèmes du bien-être, en supposant ex ante que le jugement normatif de l’individu n’entre pas en ligne de compte dans ses comportements (Les critères normatifs, comme par exemple celui de Pareto, sont extérieurs aux raisonnements, justifications et actions des individus). Le conventionnalisme refuse ce réductionnisme et propose un autre pari. Il tient absolument à réintégrer la décision de l’acteur (souvent plutôt « le jeu de décision ») dans son contexte social, culturel, spirituel et/ou anthropologique, au sens des grands mythes fondateurs d’une civilisation. Mais, bien sûr, la théorie conventionnaliste reste un discours scientifique, qui, pour discourir sur le monde et dire les régularités qu’elle y voit, va substituer un autre pari réductionniste. Le Dictionnaire des Conventions se charge d’en préciser les tenants, puis d’en montrer les conséquences.

Au risque d’être un peu trop sommaire (les entrées sur l’écologie, l’espace, la santé échappent à la règle qui va être énoncée dans le reste de cette phrase), les articles abordent deux grands sujets : un sujet très pratique qui tourne autour de la relation de travail, du droit du travail, et de l’entreprise comme lieu d’étude privilégié des conventions ; et le vaste sujet du statut épistémologique/ idéologique de l’économie, comme discipline scientifique.

Les articles du premier type sont détaillés, documentés et bien sûr « pluridisciplinaires », mêlant les sciences de gestion, le droit, l’économie, un peu de sociologie. Ils investiguent en fait, au microscope, le lieu le plus fin dans lequel se tisse les conventions : celui de l’entreprise (mais on peut au passage regarder, comme le propose un article du dictionnaire, ce qu’il se passe dans la « famille » autre lieu véritablement micro de détermination de convention entre personnes). Ils démontrent, dans ce champ d’investigation précis, le caractère d’approximation totale que constitue la fiction du contrat de travail néoclassique et, au-delà de la fiction simplificatrice (chose qu’encore une fois on pourrait accepter comme pari réductionniste méthodologique), ses apories lorsqu’il s’agit d’aller vers une théorie globale et consistante de la « firme ». Les éléments normatifs sont aussi très intéressants : l’entreprise, si elle est autre chose qu’un nœud de contrats entre homo-oeconomicus, peut être repensée à partir d’un point de vue prescriptif basé – aussi – sur la démocratie et le partage, qui se surajoutent ainsi à l’autre priorité qu’est l’efficacité. (Plusieurs priorités enchevêtrées donc ; tout ceci est bien inhabituel pour l’économiste…). Mais les articles de l’ouvrage ne sont pas tous tournés vers la théorie de la firme et les articles du second-type embrassent des sujets beaucoup plus larges.

C’est sur ce dernier point que le dictionnaire livre ses contributions à mon avis les plus fulgurantes. Les articles sur Bourdieu, sur Keynes, le langage, la notion de prix, la littérature et la sociologie chez Paul Valéry sont des moments forts de l’ouvrage, qui tous s’interrogent au fond sur le rapport entre la pensée économique et « l’idéologie ». Le principe fondateur de la théorie des conventions, le pari nouveau qu’elle propose en substitution du pari ancien néoclassique, est en effet de s’intéresser aux activités interprétatives des agents économiques dans la mise en œuvre de leur décision et dans leurs recherches de coordination. Au lieu de délaisser le jugement au moment de la formation de la décision chez l’acteur, le jugement est présent dès la formation de la décision, ou même, dès la formation des anticipations (rationnelles ?) sur les conséquences d’une décision. C’est ici que réside le grand-geste conventionnaliste, qui dans sa démarche méthodologique mêle à la fois une décision, son acteur situé, ses motifs, ses tenants et ses aboutissants, tant pour soi que pour les autres. Et autant en soi qu’avec les autres, car les conventions sont collectives, par essence.

De façon assez lapidaire, Bourdieu avait jugé que la convention était une intersection « vide » entre l’économie et la sociologie. Mais, si les agents mettent en œuvre d’emblée une conception du juste dans leurs actions, l’économie, la bonne économie, n’est en fait pas séparable de la morale. Et c’est donc avec la philosophie qu’il faut chercher l’intersection ; contrairement d’ailleurs à notre enseignement de base en histoire de la pensée, dispensé à la faculté d’économie, qui cherche à montrer comment peu à peu le discours sur les faits économiques s’est autonomisé de la pensée philosophique à la fin du xviiie siècle, pour trouver sa maturité avec sa mathématisation néoclassique (1954), l’économétrie (milieu xxe siècle) ou le recours au procédé expérimental à petite échelle… (début du xxie siècle). L’interprétation et les jugements sur le Vrai, le Beau, le Juste, sont généralement actifs lorsque les êtres humains s’occupent de se coordonner, et le prix n’est qu’un opérateur, parmi de nombreux autres. On retrouve là tout l’intérêt qu’il y a à lire Keynes et ses successeurs (la macroéconomie des problèmes de coordinations et des prophéties auto-réalisatrices), mais aussi tous les penseurs de la rationalité limitée (H. Simon), de la construction sociale des sciences (M. Callon) et du langage (L. Wittgenstein), auxquels le dictionnaire fait la part belle.

Cette recension ne serait pas complète si je ne prenais pas quelques lignes pour relever les parties du dictionnaire qui rendent hommage non seulement à Olivier Favereau comme scientifique, mais aussi au professeur et au collègue. Dans nos interactions personnelles, j’ai moi-même pu apprécier à quel point les louanges sur l’homme, qui traversent tout l’ouvrage, sont vraies, belles et justes.