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The Hesitant Hand, Taming Self-Interest in the History of Economic Ideas, Steven G. Medema

Christel Vivel

The Hesitant Hand, Taming Self-Interest in the History of Economic Ideas, Steven G. Medema (Princeton (NJ), Princeton University Press, 2009)

Christel Vivel

1. Cet ouvrage retrace le lien entre l’intérêt personnel, le marché et l’État dans l’analyse économique depuis le milieu du xixe siècle jusqu’à la fin du xxe siècle. Medema s’intéresse ainsi à l’une des questions principales de l’histoire de la science économique.

2. Medema met en évidence dans cet ouvrage une idée pourtant évidente mais trop souvent absente de la littérature si ce n’est peut-être chez les historiens de la pensée économique : la question de l’intérêt personnel n’est pas apparu pour la première fois chez Adam Smith et ne s’arrête pas avec lui. Au contraire l’ouvrage retrace l’impact de la prise en compte de l’intérêt personnel dans la théorie économique depuis la Grèce antique jusqu’à l’avènement de l’analyse économique du droit et la théorie du Public Choice.

3. Dans le premier chapitre Medema met l’accent sur les prédécesseurs de Smith : anciens grecs, scholastiques, mercantilistes, physiocrates sont examinés au travers du prisme de l’analyse de l’intérêt personnel. L’auteur souligne ainsi que l’originalité d’Adam Smith ne réside pas tant dans le fait que la poursuite de l’intérêt personnel sert au mieux les intérêts de la société dans son ensemble mais plutôt dans le fait que l’intérêt individuel ne doit pas être contraint.

4. Medema rappelle que le manque de confiance de Smith en la capacité des hommes d’État et fonctionnaires de son époque est lié au très fort taux de corruption de l’époque. Smith de ce fait ne pouvait que se montrer méfiant vis-à-vis de l’efficacité de l’action gouvernementale. L’intérêt personnel s’avérait ainsi le moyen le plus efficace de servir les intérêts de la société dans son ensemble. Toutefois, Smith considérait que cet intérêt personnel doit être canalisé, encadré pour servir au mieux l’intérêt de la société dans son ensemble. Smith, contrairement à ce que l’on a pu laissez croire, n’était pas un avocat sans faille du laissez faire laissez passer. Pour lui l’État se devait de protéger la société contre la violence et l’invasion des autres sociétés, protéger ses membres contre les injustices et oppressions émanant des autres membres, et même prendre en charge les activités non prises en charge par l’individu car plus couteuses que profitables. Preuve si l’en est que trop souvent les textes fondateurs sont utilisés par les commentateurs bien au-delà de ce qu’ils ne signifient réellement.

5. Plus encore, Medema souligne l’intérêt de Smith pour la défense des industries essentielles à la défense nationale ou la mise en place d’une réglementation en matière d’hygiène publique. Cette liste de taches inférant à l’État présentée par l’auteur dans ce chapitre a le mérite d’être plus complète que ce que ne le fait habituellement la littérature.

6. Dans le chapitre 2, Medema revient sur les facteurs permettant d’expliquer le passage d’une approche non interventionniste des économistes classiques à l’approche plus largement interventionniste des néoclassiques. Pour cela, Medema retrace les apports de l’utilitarisme et notamment souligne le pont réalisé par Henry Sidgwick entre l’utilitarisme et le marginalisme. Ce faisant l’auteur montre que la science économique prend en considération le comportement opportuniste des individus qui peuvent avoir intérêt à tricher.

7. Ces éléments sont complétés par le chapitre 4 qui revient sur le concept d’efficience et la notion de maximisation de la richesse tels qu’analysés par la tradition italienne de la « scienza della finanze » largement négligée par les anglo-saxons selon l’auteur. L’apport de la tradition italienne résiderait dans leur critique de la capacité de l’État à fournir des biens et services publics de manière optimale. Selon l’auteur, cette analyse est complétée par Wicksell lequel montre que le corps législatif ne peut représenter l’ensemble des intérêts de la population. Seule la règle de l’unanimité permettrait selon ce dernier d’égaliser la recette marginale et le cout marginal.

8. Dans les trois derniers chapitres l’analyse de Medema porte sur l’apport de Ronald Coase et de l’école du Public Choice. Selon l’auteur, un nouveau tournant est pris avec la parution de l’article « The Problem of Social Cost » en 1960. Jusqu’alors l’analyse pigouvienne et la théorie de la défaillance du marché servaient de guide en matière de résolution des externalités. Dans ce contexte, Coase s’était déjà penché sur la question des externalités, notamment lors de son étude de l’allocation des fréquences de diffusion aux États-Unis. Mais ce n’est qu’à la suite d’une réunion organisée chez lui par Aron Director que Coase aurait présenté sa critique de l’analyse pigouvienne et convaincu les autres participants (et membres de l’Université de Chicago) de son point de vue selon lequel Pigou néglige la réciprocité des dommages et les couts qu’ils engendrent. Medema souligne que l’apport de Coase réside dans le fait de mettre en exergue l’influence de la structure légale sur la réalisation des activités économiques. Ces liens entre structure économique et juridique ne sont cependant pas nouveaux. Comme le note Medema, ceux-ci étaient déjà présents dans la Grèce antique et chez les scholastiques

9. La théorie du Public Choice est alors présentée par Medema comme une réaction à l’analyse pigouvienne et keynésienne fondées sur la supériorité et l’efficacité de l’action gouvernementale face au marché. L’approche du Public Choice s’appuie sur la représentation de l’agent économique « égoïste » (au sens de centré sur la réalisation de son seul intérêt personnel) et est ainsi souvent présentée comme l’application au domaine de la politique des modèles et théories économiques. Pourtant, en dépit de ce qui est très largement perçu par la communauté scientifique, cette approche connut de nombreuses critiques tant au sein de la communauté des économistes que de celle des politologues. Cette présentation de l’histoire de la construction de l’économie du droit et son évolution vers l’analyse économique du droit à l’Université de Chicago est ainsi présentée comme un simple corollaire de l’article de 1960 de Coase. Les deux derniers chapitres de l’ouvrage sont ainsi dédiés à la démonstration de cette idée. Au final la référence à l’intérêt personnel apparait comme un angle de présentation des circonvolutions de l’analyse économique au fil de l’histoire.