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Hayek on Mill, the Mill-Taylor Friendship and Related Writings, Friedrich A. Hayek

Guillaume Vuillemey

Friedrich A. Hayek, Hayek on Mill, the Mill-Taylor Friendship and Related Writings, édité par Sandra J. Peart, The Collected Works of F. A. Hayek, vol. 16 (The University of Chicago Press, 2015)

La publication des œuvres complètes de Friedrich A. Hayek, sous la direction actuelle de Bruce Caldwell, est un projet de longue date, commencé en 1988. Le dernier volume paru (le seizième sur dix-neuf prévus), rassemble les écrits de Hayek consacrés à John Stuart Mill, notamment son ouvrage de 1951, John Stuart Mill and Harriet Taylor : Their Friendship and Subsequent Marriage – probablement l’un de ses écrits les moins connus. Dans ce livre, Hayek publie la correspondance, réunie par ses soins, entre Mill et Harriet Taylor, accompagnée d’éléments biographiques et contextuels.

2Friedrich Hayek a nourri, à partir des années 1940 et jusque dans ses derniers écrits (La présomption fatale parut en 1988) un intérêt profond et continu pour Mill, dont l’ouvrage de 1951 ne fut qu’une étape. À titre d’exemple frappant, Hayek entreprit en 1954 de reproduire avec sa seconde femme, exactement un siècle plus tard, le voyage de Mill en Italie et en Grèce. Il donna enfin, sur près de trois décennies, plusieurs préfaces, réunies pour la première fois dans ce volume des œuvres complètes, à des ouvrages consacrés à Mill (notamment à l’importante biographie de Michael St. John Packe en 1954).

3Pourquoi cet intérêt ? Hayek a tôt étudié la tradition libérale anglaise (Burke, Hume, Ferguson, Macaulay), dont il a souvent contrasté les apports avec ceux des Lumières françaises, en lesquelles il voit l’une des sources intellectuelles du socialisme. L’intérêt qu’il porte à Mill s’est renforcé lorsqu’il a commencé à travailler, durant la Seconde guerre mondiale, à son vaste projet (partiellement inachevé) sur l’ « abus de la raison » (voir Caldwell, 2008). Son but était de montrer comment la croissance de la mentalité scientiste et rationaliste a progressivement ouvert la voie au socialisme, en donnant l’illusion que les phénomènes sociaux peuvent être planifiés et maîtrisés par la raison humaine avec la même précision que les phénomènes physiques.

4Dans ce vaste projet, Mill mérite attention car il a, pour Hayek, corrompu la tradition libérale anglaise de l’intérieur, en contribuant à la diffusion sur le sol britannique des idées de Saint-Simon, de Comte ou de Gustave d’Eichthal (un disciple de Comte avec qui il entretint une abondante correspondance). La sensibilité libérale de Mill (dont témoigne son célèbre De la liberté) se teinte d’idées dénotant une forme de « rationalisme constructiviste » et faisant, pour Hayek, le lit des grand projets de planification du xx e siècle. Ces penchants expliquent aussi que des auteurs socialistes tels que Sidney Webb aient loué ses écrits.

5On ne peut donc comprendre ce nouveau volume que dans la perspective plus large de la pensée hayékienne. Hayek entreprend de travailler sur Mill à un moment-charnière de sa vie intellectuelle, quand il délaisse quelque peu l’économie pure (sa Théorie pure du capital est parue en 1941) pour s’engager dans l’élaboration de sa théorie de l’ordre social. Au sujet de Mill, Hayek comprend que son évolution d’une pensée libérale vers une pensée socialisante est, au moins partiellement, due à l’influence de Harriet Taylor. Afin de mieux discerner cette influence, il entreprit de collecter la correspondance de Mill avec Taylor, longtemps gardée secrète par une descendante de celle-ci, et dispersée au cours de ventes publiques dans les années 1900. De nombreux documents inclus dans ce volume, notamment la correspondance de Hayek avec Jacob Viner, ainsi qu’une introduction de Hayek aux Early Letters of John Stuart Mill (1963) donnent la mesure considérable du problème. Certains lots, pas nécessairement référencés dans leurs catalogues, ont été achetés par des universités américaines. D’autres sont en mains privées. En 1943, Hayek dénombre vingt-et-une collections privées comptant des quantités importantes de lettres de Mill, ou consacrées à Mill, et publie dans le Times Literary Supplement un appel à davantage de documentation.

6John Stuart Mill and Harriet Taylor : Their Friendship and Subsequent Marriage, qui constitue la majeure partie de ce tome des œuvres complètes, est intéressant à plus d’un titre. D’abord par ce qu’on y apprend sur Mill. Ses échanges épistolaires avec Harriet Taylor, qui s’étalent de 1830 à 1858, nous montrent sa fascination pour celle qui est appelée à devenir sa femme. Celle-ci joue un rôle significatif dans la formulation et l’évolution des idées de Mill, notamment lorsqu’il rédige ses Principes d’économie politique. Décrivant les années qui précèdent, Hayek écrit « Mill était à ce moment-là sous l’influence totale de Mme Taylor et, à la lecture des lettres dont nous disposons, il n’y a aucun doute que, des deux, elle était dotée du caractère le plus affirmé ». Au fil de ses écrits, Hayek défend la thèse (il n’est ni le premier, ni le dernier) selon laquelle l’évolution de Mill vers des idées davantage marquées par le socialisme est attribuable dans une mesure significative à la présence marquante de Harriet Taylor.

7Si le livre de Hayek couvre la totalité de la relation Mill-Taylor, depuis leur rencontre jusqu’à la mort de Taylor (l’ouvrage se clôt ainsi sur une lettre, rédigée en français, de Mill au maire d’Avignon, où sa femme est décédée le 3 novembre 1858), la période qui intéresse particulièrement Hayek est celle de la genèse des Principes d’économie politique. Cet opus, décrit à de nombreuses reprises par Mill comme une « production jointe » avec sa femme, a eu une importance de premier plan pour la pensée économique jusqu’à la fin du xix e siècle. Les lettres présentées par Hayek montrent des échanges constants entre Mill et Taylor sur son contenu, et Mill modifiant l’ouvrage pour répondre aux commentaires de Taylor. Après les révolutions de 1848, la vie intellectuelle bouillonne de projets visant à la création d’un ordre social nouveau, dont Mill discute avec Taylor (par exemple, les « systèmes » de Saint-Simon et Fourier). Mill distingue pour sa part les problèmes de production des problèmes de distribution, ce qui lui vaut, ailleurs dans l’œuvre de Hayek, de vigoureuses critiques car les deux, pour celui-ci comme pour tous les économistes de l’école autrichienne, vont de pair. Les échanges sur ces questions se densifient au fil des années et, pour Hayek, chacune des rééditions des Principes d’économie politique est davantage marquée que les précédentes par des idées socialisantes.

8L’ouvrage mérite aussi lecture pour ce qu’il dit de Hayek, de sa méthode de travail, et de la genèse de sa pensée. Le volume s’ouvre par une introduction fort utile de Sandra J. Peart (Université de Richmond), l’éditrice de ce volume. On comprend la difficulté à saisir la position hayékienne vis-à-vis de Mill, qui avait déjà été soulignée par Caldwell (2008). Une telle mise en perspective est indispensable, car de nombreuses discussions éclairantes de Mill par Hayek ne se trouvent pas dans ce volume, mais dans d’autres ouvrages publiés par ailleurs, par exemple dans la Constitution de la liberté. Par ailleurs, on voit aussi que l’opinion générale de Hayek a évolué, ainsi que l’a également souligné Légé (2008), devenant globalement de plus en plus critique au fil des années.

9Il faut, pour terminer, saluer la qualité remarquable du travail éditorial de Sandra Peart. L’appareil de notes est considérable et fort utile, incluant de brèves indications biographiques relatives à la correspondance Mill-Taylor. Toutes les lettres citées par Hayek ont été comparées avec les originaux, et des erreurs mineures de transcription dans le volume original, dûment signalées, ont été corrigées.

Bibliographie

  • Caldwell, Bruce. 2008. “Hayek on Mill”, History of Political Economy, 40/4 : 689-704.
  • Légé, Philippe. 2008. “Hayek’s readings of Mill”, Journal of the History of Economic Thought, 30/2 : 199-215.