
Le cercle de Vincent de Gournay. Savoirs économiques et pratiques administratives en France au milieu du XVIIIe siècle, Loïc Charles, Frédéric Lefèbvre et Christine Théré (dir.) (Paris : INED, 2011)
L’œuvre, tant administrative qu’intellectuelle, de Vincent de Gournay fait l’objet depuis les années 1980 d’une redécouverte et d’un regain d’intérêt de la part des historiens. L’ouvrage collectif, issu du colloque qui s’est tenu à l’INED (Paris) en février 2004, ne porte pas directement et exclusivement sur Vincent de Gournay, mais prend pour objet le « cercle de Gournay », non pas seulement pour montrer qu’il constitue, face aux physiocrates, une seconde orientation des études économiques et politiques au milieu du xviii e siècle, mais surtout pour en interroger précisément le contenu et la place dans l’histoire des idées et des pratiques socio-politiques. Il s’agit d’abord de cerner l’identité de ce courant de pensée tant au niveau idéologique que méthodologique et institutionnel, ensuite d’évaluer son rôle dans l’histoire des idées et son poids sur les transformations des pratiques administratives et des politiques économiques. L’originalité du cercle de Gournay tenant pour une part, justement, à cette solidarité entre les pratiques administratives et politiques de ses membres d’une part, leurs contributions aux savoirs économiques de l’autre. Il s’agit ensuite de penser la relation entre le projet économique de « science du commerce » et le concept politique de liberté telle qu’il se construit au milieu du xviii e siècle.
Le projet qui commande l’ouvrage, à l’origine du colloque de 2004, vise à constituer le cercle de Gournay en mouvement d’idées et de pratiques ayant une identité propre, objet d’études historiographiques pluridisciplinaires, à l’instar des physiocrates ou des encyclopédistes. Ce projet est animé par une double volonté : celle de substituer à l’étude des « grands auteurs » l’analyse des pratiques collectives et des savoirs partagés constitutifs d’un même courant de pensée, celle aussi de penser ensemble histoire sociale et histoire intellectuelle, en interrogeant le contenu des concepts employés par les membres du cercle de Gournay dans leur usage pratique et social.
L’étude se développe selon trois axes correspondant aux trois parties de l’ouvrage. Dans un premier moment, il s’agit de mettre en relation les pratiques, qu’elles soient administratives, politiques ou culturelles et les représentations savantes des membres du cercle. Le Bureau du commerce, Gournay et Malesherbes sont au cœur de ces études, menées par David Kammerling Smith, Loïc Charles, Simone Meyssonier et Julian Swann. Le second moment interroge l’évolution du vocabulaire économique, social et politique en tant qu’il révèle l’émergence et la transformation d’objets de connaissance, grâce à un ensemble d’études originales à la fois qualitatives et quantitatives. Sont soumis à l’examen le terme de « population » (Christine Théré & Jean-Marc Rohrbasser) et ceux appartenant au registre du commerce (Marie-France Piguet, Philippe Steiner, Frédéric Lefebvre). Ces études sont l’occasion de prendre en compte non seulement les productions savantes d’auteurs mineurs tels Forbonnais et Dangeul, mais aussi, tout aussi instructifs quoique plus rarement étudiés, les dictionnaires du xviii e siècle. Le troisième moment de l’ouvrage analyse les relations que le cercle de Gournay entretient avec la philosophie politique, notamment l’œuvre de Montesquieu (Catherine Larrère), et centre son étude sur le concept d’intérêt (D. Duflos de St Amand) et l’histoire du commerce comme genre littéraire (Paul Cheney).
Cet ouvrage collectif, rédigé par des auteurs figurant parmi les meilleurs historiens de la démographie, de la philosophie et de la pensée économique du xviii e siècle, mais aussi linguistes et sociologues, apporte une contribution essentielle à la connaissance de ce courant de pensée qu’est le cercle de Gournay, et plus largement, à l’histoire de la pensée économique et politique du xviii e siècle. La richesse de la documentation utilisée, l’étendue des œuvres et travaux analysés, la rigueur et la fécondité des instruments méthodologiques mobilisés en font, pour les historiens du XVIII e siècle, un instrument précieux, encore enrichi par une série d ‘annexes fort utiles, qu’il s’agisse d’études quantitatives comparatives sur les ouvrages du fonds de la Goldsmith’s-Kress Library, de l’inventaire analytique du fonds Gournay ou encore des trois mémoires de Gournay qui accompagnent l’ouvrage, à savoir une nouvelle version savante du Mémoire sur les Manufactures de Lyon, et deux mémoires inédits, Résultat de la tournée de M. de Gournay en Languedoc relativement aux draps pour le Levant et Moyens proposés pour agir le plus offensivement contre les Anglais…