Une source philosophique de la pensée économique de Carl Menger : L’éthique à Nicomaque d’Aristote

L’influence des écrits d’Aristote sur la pensée de Carl Menger a souvent été évoquée par les historiens de la pensée économique, de Kraus à Barry Smith. Le livre V de l’Éthique à Nicomaque contient en effet les prémisses de la question de la valeur que reprit le fondateur de la pensée  » autrichienne  » (de Böhm-Bawerk à Hayek). La preuve philologique formelle de ce rapprochement se trouve dans la correspondance stricte qui existe entre les notes manuscrites de Menger sur sa copie de l’Éthique à Nicomaque et ses propres Grundsätze der Volkswirtschaftslehre (1871). La théorie de Menger, qui fait de la valeur une évaluation subjective strictement individuelle, accepte la théorie de l’essence et l’échelle aristotélicienne des biens fondée sur le triptyque antique « survivre- vivre / bien-vivre”. Son concept grec reparaît chez Menger dans l’attribution par l’agent d’une valeur aux divers biens qui peuvent satisfaire ses besoins (Bedürfnisbefriedigung). L’enquête de « première main » que nous avons menée sur les textes de l’exceptionnel Fonds Menger conservé au Japon éclaire cette source par la lecture que fit Menger des textes antiques et des annotations qu’il y porta. Elle offre également une piste d’éclaircissement des divergences existant entre l’ouvrage publié en 1871 et sa seconde édition (posthume, 1923) par son fils, le mathématicien Karl Menger. La relecture mengérienne de l’Éthique à Nicomaque constitue ainsi l’occasion d’un véritable examen du work in progress de la pensée de Carl Menger.