- Introduction
- 1 – Les fonctions de la monnaie
- 2 – Le processus de dématérialisation
- 3 – Processus de dématérialisation et approche symbolique de la monnaie
- 4 – La fonction symbolique
- 5 – Fonction symbolique et dématérialisation de la monnaie
- 6 – Monnaie et gouvernementalité
- 7 – Fonction symbolique de la monnaie et raison d’État
- Conclusion
Ainsi parla cet ardent amour ; puis il ajouta : « D’un bon cours est de cette monnaie et l’alliage et le poids ; mais dis-moi si tu l’as dans ta bourse. » Et moi : Oui, je l’ai si brillante et si ronde, que dans son coin rien ne m’est en doute.
Dante, La Divine Comédie, III. Paradis, 24 : 83-87.
Introduction
La monnaie se définit traditionnellement par ses fonctions et ses formes, sa propriété intensive de liquidité et sa propriété extensive de reproduction capitalistique. Les notions de symbole monétaire et de fonction symbolique de la monnaie, par contre, sont beaucoup plus délicates à définir de façon univoque. C’est que, la fonction symbolique de la monnaie est un problème trou noir (Sapir 2000). Chez Marx la monnaie a pour fonction de symboliser la marchandise étalon du prix relatif des autres, chez Mauss elle a pour fonction de symboliser le mana, la force des choses, mais au-delà d’une définition de la fonction symbolique comme « sens collectif qu’ont les situations et les choses » (Aglietta et Orléan 1998, 343), par contre du point de vue d’une approche instrumentale liée à une problématique classique orthodoxe de neutralité de la monnaie, du voile, et de l’efficience de marché, on ne voit guère ce que la monnaie symboliserait d’autre que la valeur ou la volonté du souverain elle même.
L’enjeu c’est que, avec l’aboutissement électronique de la dématérialisation des instruments de paiement dans une économie tertiarisée, le médium monétaire pénètre sans plus se montrer les gestes quotidiens potentiellement producteurs de services marchands. Le geste de paiement peut devenir invisible dans des interactions sociales coopératives et de plus en plus flexibilisées jusqu’à l’ubérisation. En se voilant ainsi, le pouvoir d’achat se montre plus nettement comme capacité d’accès, d’action, et d’action sur les actions des autres. Du système de pouvoir d’achat, qui met en rapport les stocks d’encaisses monétaires avec le système de prix, ne reste qu’un réseau de droits différentiels représentable comme un diagramme de rapports de forces, un champ (Wlodarczyk 2015). Comme l’avait intuitionné la sociologie économique de Simmel, la dématérialisation de la monnaie amène que :
[…] entre constitution libérale et économie monétaire existe une étroite corrélation […] non seulement ce même argent se révèle comme le précurseur de formes socialistes, mais en outre, des rapports économiques spécifiquement monétaristes fournissent tout à fait directement l’esquisse ou le type même de ceux auxquels aspire le socialisme1.
La monnaie a pour nature d’exprimer objectivement les valeurs (Ingham 2004). Ce processus institutionnel d’objectivation sociale peut être l’objet d’approches problématiques diverses en sciences sociales : problème d’efficacité, problème de cohésion sociale, problème de stabilité des rapports de pouvoirs etc. Certes, il n’y a pas une valeur plus substantielle que les autres (économique, religieuse, morale, esthétique etc.) qui fonderait la prévalence d’une problématique sur d’autres quant à la connaissance de ce phénomène (Orléan 2009). Reste que si les termes théoriques s’en tiennent là, le problème mène de toutes façons à réduire l’analyse de la fonction symbolique dans une théorie de la valeur ou dans une théorie des valeurs2.
Afin d’éviter le saut direct vers cette solution (platonicienne), et de tenter d’approcher au plus positif possible de la fonction symbolique de la monnaie3, le développement suivra plutôt le cheminement d’une analyse qui emprunte à l’épistémologie de Michel Foucault la méthode, l’angle d’attaque et la perspective4. Ainsi, l’enjeu pourrait se reformuler à partir de l’idée que le travail est l’activité pénible par laquelle les hommes produisent leurs conditions d’existence. Cette activité de production réalisant le décor des existences, il vient que se pose, derrière la surface contemporaine des choses, un certain nombre de problèmes en termes d’esthétique de l’existence. Notamment, dans ce vaste ensemble problématique de l’esthétique de l’existence il y a la question de savoir quelle fonction symbolique y joue la monnaie. Ainsi, au fil d’une archéologie des savoirs – une analyse de ce qui du passé fait autorité dans la volonté de savoir présente, on s’en tiendra d’emblée à la problématique foucaldienne de la gouvernementalité, c’est-à-dire au problème des modalités rationnelles de l’action sur l’action des autres en tant qu’elles mobilisent des représentations « vraies » de l’action.
Le problème étant que la théorisation des représentations mobilisées par les agents économiques présuppose en fait des processus cognitifs d’identification et de constitution des objets (ensembles de relations significatives ou négligeables). Mais la théorisation économique n’explicite pas en tant que tels les jeux de circulations de points de vue qui sont effectivement constitutifs des processus d’objectivations monétaires de mesure de l’importance de la valeur de tel ou tel objet (Eymard-Duvernay 2009)5. Reste que ces processus ont leurs déterminants économiques propres (i.e. leurs efficacités propres), ni strictement sociaux, ni strictement psychologiques6. De la sorte, l’enjeu d’une analyse de la fonction symbolique de la monnaie, ni sociologisante (Zelizer 1994), ni psychologisante (Reiss-Schimmel 1993), sera ici de proposer des bases objectives pour une philosophie des incitations économiques.
Dans un premier temps, en rappelant les fonctions de la monnaie, le propos commencera par la dichotomie tenace qui organise l’étude de l’origine de la monnaie, entre d’une part l’analyse explicative par l’individualisme méthodologique et d’autre part l’interprétation historique par le holisme méthodologique. Cette ambivalence coïncide avec la querelle des méthodes propre à la philosophie de l’histoire et de la connaissance depuis la fin du xixe siècle. Or ici il apparaît que ce clivage projette une perspective sur l’avenir, c’est-à-dire sur le processus historique de la dématérialisation des formes de la monnaie (parties 1 et 2).
Dès lors, on peut montrer qu’une analyse foucaldienne de la fonction symbolique de la monnaie, resituée dans une étude du processus historique de dématérialisation de ses formes, produit une sorte de domaine empirique spécifique et fructueux par rapport aux réflexions modernes de la philosophie de l’histoire et de la connaissance (parties 3, 4, et 5).
Et s’en tenant à une problématique foucaldienne, le développement explicitera alors l’ambivalence de la fonction symbolique de la monnaie – ce que Foucault appelle le « complexe d’Œdipe du pouvoir savoir » : la monnaie est instrument symbolique de savoir quand non instrument symbolique de pouvoir, et vice versa. Ainsi, à partir de l’analyse foucaldienne du basculement de l’épistémè classique vers l’épistémè moderne au xviiie siècle – basculement qui marque l’avènement à sa raison explicite d’un problème de gouvernement par la production de vérité, quelques éléments d’analyse de la fonction symbolique de la monnaie dans la modernité seront avancés (parties 6 et 7).
1 – Les fonctions de la monnaie
Une commodité, utilisée comme moyen de paiement d’une autre commodité, est réputée être de la monnaie, si elle peut être échangée directement contre toute autre commodité présente dans un système d’échanges. On attribue ainsi deux rôles à la monnaie : un rôle économique et un rôle social.
Premièrement, la monnaie a pour rôle économique de faciliter les échanges dans une société. C’est que, avec le développement de la division du travail, les échanges se multiplient. Seulement, le troc limite les possibilités d’échanges, dans la mesure où chaque transaction implique une coïncidence mutuelle des besoins. Ce qui lève cette contrainte, c’est l’utilisation d’une marchandise désirée par tous, facilement conservable et divisible, comme étalon, comme intermédiaire des échanges.
Ainsi, dans la tradition aristotélicienne, on caractérise la monnaie par trois fonctions : intermédiaire des échanges, étalon de mesure, et réserve de valeur. D’abord, l’intermédiaire des échanges est moyen de paiement, conférant un pouvoir libératoire d’une dette, contrepartie de l’acquisition d’une marchandise et ce, à la mesure de son acceptation par tous en tant que tel. Ensuite, en tant qu’étalon de mesure des rapports d’échanges des marchandises, la monnaie traduit tous les produits du travail dans une dimension homogène de commensurabilité univoque, comme unité sigle, elle facilite les confrontations de valeurs. Enfin, en tant que réserve de valeur, la monnaie est porteuse de choix, de variété et d’instant, à la mesure de la portée de sa circulation7 et de sa pérennité.
Reste que ces trois fonctions reposent sur des propriétés fondées en croyances, et en croyances sur les croyances des autres. Et comme c’est au titre de cet ensemble compact de croyances que la détention de monnaie se justifie, au-delà d’une analyse orthodoxe individualiste ou institutionnelle se profile une analyse des fonctions monétaires en termes de conventions, c’est-à-dire de situations autoréférentielles où l’efficacité d’un comportement dépend de son imitation de celui des autres.
Deuxièmement, la monnaie a pour rôle social de polariser les passions dans une communauté. L’hypothèse de base est ici que l’homme est animé de passions. Passions qui sont d’autant plus prédatrices à l’égard de son prochain que la contrainte de rareté est intense. Ainsi, dans la vie animale, même si l’on a jamais vu deux chiens échanger leurs os, cependant l’existence de la communauté humaine implique d’y conjurer la contagion possible de la violence et de la peine (et notamment de la violence issue de cette peine, de cette dette originelle de l’homme à sa condition incarnée, qu’est la faim). Alors, la monnaie, en permettant la polarisation des passions vers son acquisition et son accumulation, permet de couper court aux potentiels du cercle infernal de la vengeance. David Hume qualifiait déjà ainsi la passion acquisitive canalisée comme Artifice Non Arbitraire (Hume 1946). Parce qu’elle est désirée par autrui, la monnaie sera désirée ; en tant qu’elle permet d’obtenir d’autrui ce que l’on désire etc. Selon René Girard, le déchaînement de la violence mimétique est ainsi contenu par le rite sacrificiel pour la monnaie, rite dont le processus fonde l’ordre social (Girard 1972). Ainsi, la peine du travail – sacrifice – se métamorphose en salut, en reconnaissance, en une promesse de plaisir, représentée par le revenu du travail. Travailler afin de gagner de l’argent : polarisation mimétique des efforts et des violences sur un fétiche bouc émissaire, à la fois désiré et haï, et dont la reconnaissance de la valeur, à travers le rite sacrificiel, forme l’identité commune. Ainsi, les individus s’y reconnaissent, s’y aiment eux-mêmes (« self-love »), s’y lient, s’y différencient, s’y affectent, s’y félicitent de leur sympathie. Les flux de reconnaissance de la communauté à chacun de ses membres se superposent alors de facto aux flux monétaires, formant un ordre social différencié, légitimé et stable, c’est-à-dire une harmonie8. À ce stade, le cadre d’analyse conventionnaliste (et plus largement socio-économique) permet de conclure que la monnaie est symbole de souveraineté – autonomie de droit et de fait – à laquelle aspirent les individus. Mais ça ne renseigne pas plus sur le fonctionnement symbolique de ce symbole de souveraineté.
En bref, l’approche économique et logiciste se complète ainsi d’une approche plus anthropologique et historique. Reste que cette dichotomie se polarise sur l’axe problématique de l’origine, et donc de la destination. Ainsi, la recherche de l’origine de la monnaie amène les discours théoriques à s’organiser dans un clivage entre explication et compréhension. À une analyse logique et fonctionnaliste de l’origine, identifiée dans le développement de la division du travail par Carl Menger (2007)9, on peut opposer une histoire juridictionnelle et structuraliste, observée dans la constitution fiscale des États par Georges Friedrich Knapp (1973)10. Ce clivage est typique du Methodenstreit, alors sans préjuger de la validité ni de l’exclusivité d’une approche par rapport à l’autre, on peut directement replier la question de l’origine sur une conception ambivalente du tout, entre communauté et société.
2 – Le processus de dématérialisation
Prenant le fil historique dans l’autre sens, la question du développement de la monnaie pour sa part se fait dans le plan d’une histoire non plus des fonctions mais des formes de la monnaie. Histoire caractérisée par un processus dit de dématérialisation. C’est un processus historique et pas forcément irréversible de développement des moyens de paiements vers une forme de plus en plus idéale et immatérielle (autant dire de plus en plus « essentielle », fonctionnelle, et circulante sans « frictions ») : de la monnaie marchandise vers la métallique, fiduciaire, puis scripturale11.
D’abord, comme monnaie marchandise, les produits prétendant au statut de numéraire (bétail, grains, coquillages, sel, pierres etc.) satisfont à la fonction monétaire, à la mesure de leur adéquation aux propriétés de commodité d’usage (divisibilité, transportabilité…), et de crédibilité (rareté, impérissabilité, acceptabilité conventionnelle…).
La monnaie métallique est en parfaite adéquation à ces propriétés (et notamment à celle de crédibilité). De ce fait, les métaux précieux imposent le numéraire de leur poids dans la balance. Cela dit, dans la plupart des cas, la croyance en la valeur intrinsèque de l’or est liée à une institutionnalisation religieuse de la sacralité de ce métal. Le temple et le calendrier comme système d’échéances, prennent alors une place centrale dans le système de circulation monétaire. Et puis, l’unité de compte peut être garantie par la frappe en pièce d’une effigie représentative d’une autorité souveraine, incarnant la balance.
Alors, la monnaie au sens strict est l’ensemble des avoirs immédiatement utilisables comme moyens de paiement, comme moyens d’extinction de la dette. C’est-à-dire comme moyens de libération de l’obligation, comme moyen de s’acquitter entre les agents non financiers résidents d’une zone de circulation. Une zone d’acceptation donc, qui marque de facto les frontières de l’espace de reconnaissance de la souveraineté de l’autorité émettrice de l’unité sigle (ou du moins de la crédibilité).
Ensuite, bien que la monnaie scripturale, comme système d’enregistrement comptable des stocks et de leurs flux, soit en fait probablement aussi ancienne que l’écriture elle-même, par contre son développement, corrélatif de l’émission de billets représentatifs de ces stocks sous forme de monnaie fiduciaire, est beaucoup plus récent et fonctionnellement sophistiqué. C’est que, cette forme monétaire fiduciaire ouvre un espace de jeu où, comme son nom l’indique, se déploie explicitement une très aiguë problématique de confiance. C’est-à-dire une problématique de fiabilité de la croyance dans le pouvoir d’achat, comme mode de rapport du numéraire à la valeur, du nominal au réel, du visible à l’invisible, de l’apparaître à l’être, de l’actuel au virtuel, du profane au sacré…
À partir de là s’introduit la très orthodoxe problématique financière du pouvoir de création monétaire. C’est que, dans une économie dite d’endettement, où circulent des billets comme lettres de reconnaissance de dettes, la création monétaire est un pouvoir de transformation de créances en moyens de paiements.
A priori, l’intensité et l’amplitude de ce pouvoir de création monétaire sont strictement fonctions de la robustesse et de l’étendue de la crédibilité de signature de l’émetteur, appelé alors agent financier. Ainsi, ce qui circule comme moyen de libération de la dette entre les agents particuliers (dont la promesse de payer directement entre eux est a priori peu crédible) c’est un titre au porteur représentatif de la promesse de payer d’un agent tiers, dont la signature est reconnue crédible. C’est de la dette, d’un tiers agent financier, qui circule comme moyen de libération de la dette entre deux agents non financiers.
La création monétaire se déroule de sorte qu’un agent non financier s’engage dans une promesse de livrer de la valeur auprès d’un agent financier. Ce dernier stocke dans ses avoirs, comme créance, cette promesse frappée d’une signature relativement peu crédible, et lui adosse un titre équivalent, frappée de sa signature crédible, qu’il met à disposition de l’agent non financier, comme moyen de paiement : « Les crédits font les dépôts. »
Ainsi, le secteur des institutions financières est producteur d’un bien spécifique pour un système économique marchand : la crédibilité, le crédit, la confiance. Sur la base d’une promesse crédible de livrer de la valeur en contrepartie d’une livraison actuelle de biens, sur la base de cette confiance dans l’agent financier, sur ce crédit (à partir duquel se mesure une capacité d’acquisition – un pouvoir d’achat d’un acteur), sur cette base donc, s’institue un système de circulation des marchandises, c’est-à-dire un domaine de possibles métamorphoses des actifs.
Bref, l’institution financière produit des conditions de possibilités de l’ajustement fiable de l’ordre social. Ainsi, la crédibilité de la promesse de tenir ses engagements est-elle liée à la souveraineté de l’émetteur monétaire, l’agent financier. Alors, en dernière instance, le crédit de cet émetteur monétaire repose sur le crédit du souverain ; que l’émission monétaire soit directement monopolisée par le souverain, qui se réserve par seigneuriage le pouvoir de battre monnaie, ou que le crédit de l’émission métallique et scripturale d’agents financiers privés repose sur la détention de dettes du souverain (que l’on qualifie alors de monnaie de premier rang dans un tel système hiérarchique de délégation de la création). C’est que, l’existence du souverain étant liée aux propriétés extensives d’un territoire et d’une population, la capacité à prélever un flux de valeur y est par définition infinie. Ce n’est qu’une question de temps et d’intensité de mise en ordre de la population dans l’espace du territoire. Alors, stabilité monétaire et stabilité de l’État sont intrinsèquement liées.
En fait, on pourrait situer l’origine de la monnaie fiduciaire en Occident aux alentours du xiiie siècle, avec l’introduction de la numérotation arabe, et l’acquisition de la technologie comptable en partie double, dite de compte en « T », qui met en vis-à-vis, en balance, dans une unité institutionnelle (un centre élémentaire de décision autonome), un ensemble d’actifs, c’est-à-dire d’avoirs, avec un ensemble de passifs, c’est-à-dire un ensemble de devoirs. C’est sur cette base que peut se développer techniquement la propriété extensive de reproduction capitalistique de la monnaie (on peut calculer des taux et des rendements, c’est-à-dire des indicateurs qui guident les actions). Ainsi, peut s’ouvrir dans l’espace des transactions, entre avoirs et devoirs, une problématique de co-ordination bivalente, entre une problématique actionnelle de rapport au temps d’une part, et une problématique passionnelle de rapports de points de vue d’autre part.
3 – Processus de dématérialisation et approche symbolique de la monnaie
Quel est alors l’enjeu de la considération de la fonction symbolique de la monnaie dans le cadre du processus de dématérialisation en cours dans une société marchande ? D’abord : « La monnaie décrit un aspect de la société qui échappe par construction à la théorie qu’elle fonde. Que la société marchande soit organisée par un système monétaire est à la fois la condition d’une théorie acceptable du marché et la limite de son explication. » (Cartelier 1995, 94) C’est que, la monnaie a une double face, véridictionnelle et juridictionnelle : l’orientation de son flux dit la vérité de la valeur d’états de faits, et en retour, en tant que telle, elle fait faire. Ensuite, la dichotomie réel/nominal propre à la pensée classique traduit cette ambivalence de la propriété et de la souveraineté. En effet, en tant qu’elle dénote, non un pouvoir, mais un avoir/devoir, la monnaie ne peut être la propriété d’un agent particulier, mais seulement du souverain (idem, 97). Reste que, dans un système d’interactions, son acceptation comme moyen de libération du devoir pose le problème de la confiance dans sa valeur, qui est tout aussi bien le problème de la reconnaissance de la légitimité de l’ordre social (le système de propriétés) que sa circulation institue.
Ainsi, cette circulation fait système, comme un langage réglé et ancré, entre ordre du discours et discours de l’ordre, elle exprime des états de faits, en signifie la valeur, et donc, fait faire (Foucault 1971). Le problème de confiance (fiabilité) recèle donc une problématique d’empathie (cohérence). Et puis, comme le souligne Michel Foucault, du xvie au xviiie siècle, le surgissement du concept de population comme nouvel objet théorique pour la raison d’État, dans le cadre du problème de l’accroissement des richesses d’un pays et donc de la puissance de son État (c’est-à-dire le problème de l’intensité et de l’étendue de la crédibilité de sa souveraineté), correspond au basculement de l’épistémè classique vers l’épistémè moderne. D’un pouvoir savoir qui considère le savoir comme représentation extensive révélant le dessein transcendantal du divin, vers un savoir conçu comme croyance12 intensive développée dans le plan immanent aux fractures ouvertes par les énigmes des finitudes humaines du langage, de la vie, et du travail (Foucault 1966, 2004a, 2004b).
En fait, ce qui bascule c’est toute une conception du rapport de la valeur à sa manifestation (geste démonstratif)13. À partir de là, derrière le sempiternel débat sur la neutralité de la monnaie par rapport aux valeurs, se joue la conception d’un rapport transitif, ou non, du nominal sur le réel, des apparences sur les essences, des représentations sur le présent, du signifiant sur le signifié, des mots sur les choses, du dit sur le vu, des formes sur les forces qui les composent, de la mesure de l’unité sur la valeur de l’objet.
Sous cet angle, l’ouverture problématique de la sociologie, de l’ethnologie et de la psychologie consiste à montrer que la monnaie véhicule des vecteurs intrinsèques à travers les usages d’elle-même (Weber 2009 ; Blanc 2009), des couleurs (« billet vert », ou trempé dans le rouge sang, puis blanchi…), des goûts (saveur artistique, amertume industrielle…), des odeurs (argent feutrée ou caractère neutre aseptisé…), des musiques (de chaises, de chambre…), des textures (argent papier, pièce métallique, dématérialisation électronique…).
Reste que la problématique spécifiquement économique de la fonction symbolique de la monnaie se compose sur une double ouverture. D’abord à partir de l’écart, de la distance qui va des peines utiles aux peines inutiles, des actions rationnelles aux actions irrationnelles, dans lequel l’économie politique vient déployer l’énigme de la valeur travail-utilité, c’est-à-dire l’énigme de la finitude de l’homme comme atome d’une population (finitude variable, ou plus précisément optimisable). Problème du rapport de l’un au Tout, réglé en pratique par les prix comme incitations monétaires produites par le dispositif marché14. Et ensuite cette problématique se déploie dans la généalogie du problème métaphysique du rapport de l’image au réel (icône15) :
- comment une image peut-elle dépasser les apparences pour représenter le réel dans son essence (problème esthético-politique) ?
- quelle image se donner du réel pour agir sur le réel dans le réel (problème théorico-pratique) ?
Or justement, au tournant des xvi e-xviiie siècles, chacun de ces plans est au principe du basculement de l’autre dans le cadre de l’avènement à sa raison explicite du problème du gouvernement de soi du sujet souverain. Et c’est à partir de ce basculement épistémologique de la modernité que peut se déployer une problématique de la fonction symbolique de la monnaie.
4 – La fonction symbolique
Un symbole est un acte discursif lié à un régime de visibilité16. Signe porteur de sens, en tant que tel, il est clivé et bivalent : il se réalise sur une composition signifiante réglée par rapport à un signifié. Il lie une forme d’expression (régime de signes) et une forme de contenu (agencement de corps), une fonction et une matière. Il se forme sur le substrat d’un ensemble de rapports de forces.
Un symbole, type spécifique de signe, n’est pas simplement indice, n’est pas à confondre avec une image, ni avec le sens que sa manifestation peut instituer. La trace d’une patte de lièvre dans la neige est l’indice du lièvre. Le mot lièvre signifie le lièvre. Le dessin d’un lièvre est une image du lièvre. Le sens du signifié lièvre dépend du point de vue. De là, pour la psychanalyse par exemple qui fait correspondre significations et indices (l’analyste est un chasseur), le symbole est l’impliqué de l’union du sens et de l’image17. Et pour la phénoménologie husserlienne, l’acte de visée significatif se doublant d’un acte d’expression, la fonction symbolique est telle que l’image produit un sens qui implique un point de vue18.
Le symbole s’installe donc de toute manière à cheval sur une tension entre le subjectif et l’objectif. Impliqué dans la fonction monétaire, cela ouvre le problème du sujet du jugement de valeur. Cela dit, pour expliquer ce nœud herméneutique au risque du relativisme, l’épistémologie de Foucault part d’une hypothèse apparemment simple19 : le sujet ne se donne pas, ne se construit pas d’objet sans se constituer, par la même opération, comme sujet, et notamment comme sujet de jugements de valeurs (Foucault 2001b, 1042).
Il retient alors deux modèles philosophiques de la volonté de savoir : la « volonté de connaissance » aristotélécienne et la « volonté de savoir » nietzschéenne, qu’il confronte afin de recentrer l’interrogation sur le problème du point de vue du sujet (Foucault 2001a, 1408, 1413-7, et 2001b, 876). Il montre ainsi que la réflexion nietzschéenne introduit une rupture considérable dans l’histoire de la philosophie. Car d’Aristote à Kant, les conditions de l’expérience et les conditions d’existence de l’objet de l’expérience sont identiques. Par exemple, chez Descartes, c’est l’existence de Dieu qui assure l’affinité spontanée entre la connaissance et les choses. Et même encore chez Kant, le temps et l’espace, comme catégories fondamentales de l’entendement, fonctionnent comme principe de correspondance naturelle entre conditions de l’expérience et conditions d’existence de l’objet, c’est-à-dire comme principe d’harmonie a priori entre la connaissance et l’ordre des choses. Or c’était cette continuité qui assurait l’unité, la souveraineté, l’universalité anhistorique du sujet de connaissance. Au-delà, pour la philosophie de l’a priori de la connaissance s’ouvre alors explicitement le problème de la coïncidence de l’ordre positif (état de faits actuel) et de l’harmonie normative (point d’intensité maximale dans la représentation de toutes les virtualités de l’ordre) (Foucault 2001a, 1415, et Deleuze 1982/198, 20/11/1984).
Deleuze clarifie l’enjeu de ce problème lorsqu’il prend acte de la psychose, du déplacement du vraisemblable, comme effet de bord du processus capitaliste généralisé de codage, de décodage et de recodage (Deleuze et Guattari 1972, et 1980, 25-7). C’est que, le corps est dans le monde, comme le monde est dans le corps, jusqu’à la limite, la mondanisation (Deleuze et Guattari 1980, chap. 5)20.
Alors, considérant le problème leibnizien de la coexistence d’une multiplicité de points de vue (la ville), on peut commencer à entendre d’une oreille adéquate les intuitions profondes, subtiles, et difficiles somme toute, de Georg Simmel : ce mouvement de dématérialisation relève d’un souci d’objectivation de l’être, dont la quantification est le véhicule, le véhicule le plus efficace21. C’est ce véhicule qui – non plus moule (extensif) mais plutôt – module (intensif) l’individuation, car l’existence de l’unité est sa condition de possibilité (Cartelier 1995, 24).
Ainsi, ce « destin du logos » (vers la dématérialisation) montre que le schème de l’intersubjectivité est isomorphe à celui du signifiant (Petitot et Rosenstiehl 1974, et Petitot 1979). C’est-à-dire que la production monadique de l’humanité est du même ordre de vérité que celle du sujet de la signification symbolique. Le problème classique des âmes séparées dans le monde admet alors pour solution analogique la métaphore isomorphe du symbole.
5 – Fonction symbolique et dématérialisation de la monnaie
L’approche de la monnaie par l’histoire de ses formes révèle un processus de dématérialisation : curieux processus qui met en jeu un problème de raison dans l’histoire, une problématisation du progrès, une conception de l’histoire comme sujet. C’est que, tout comme la monnaie, les consommations et les propriétés privées se développent sur la pente d’un processus de dématérialisation. Jusqu’à ce que, au-delà même de l’information, la propriété aille jusqu’à porter sur le droit lui-même (Deleuze et Guattari 1980, 552 et suivantes, et 566-7). Très influencé par la philosophie de l’esprit hégélienne, voici ce que Simmel en disait :
Le principe de plus en plus actif de l’économie des forces et des substances mène à une utilisation de plus en plus étendue de substituts et de symboles, qui n’ont absolument aucune parenté de contenu avec ce qu’ils représentent. Ainsi, il en va tout à fait de même quand les opérations avec les valeurs se réalisent au moyen d’un symbole qui perd de plus en plus toute relation matérielle avec les réalités dernières de son domaine propre et n’est plus autre chose que pur symbole. Ce mode de vie suppose […] que la civilisation opte fondamentalement pour l’intellectualité. Que la vie doive essentiellement s’appuyer sur l’intellect […] va de pair avec la pénétration de l’économie monétaire. L’accroissement des capacités intellectuelles d’abstraction caractérise l’époque où l’argent, de plus en plus, devient pur symbole, indifférent à sa valeur propre.
(Simmel 1987, 157)
Ce mouvement, d’une sorte d’« escalade sémantique » (Quine 1977, 371-9), se déploie dans le plan d’une problématique épistémologique. En effet, il s’agit là d’un problème essentiel pour les sciences sociales : le mode de production des jugements de faits sur les jugements de valeurs (analyse sociale des conditions de possibilité de la pensée). Cela dit, alors que Simmel observe dans sa philosophie de l’argent une rationalisation matérielle, institutionnelle et monétaire de ce problème, d’autre part, partant d’une approche formelle22, Max Weber en propose en 1904 une rationalisation sur la base d’une méthode de composition de ce qu’il appelle (à la suite de Carl Menger) un idéaltype23. Ce problème des valeurs – des forces – qui sont à l’œuvre dans la manifestation de la vérité, fut discuté autour de Foucault : « Le discours philosophique sur ce que les sciences entendent par “vérité” ne peut pas être dit à son tour vrai. Il n’y a pas de vérité de la vérité. »24 Foucault soulignait donc que le problème à poser dans cette perspective est celui, non de la vérité de la vérité, mais le problème de la volonté de vérité, le problème du diagramme de rapports de forces à l’œuvre.
Reste que, des valeurs (plan « réel » invisible) à leurs manifestations (plan « nominal » visible), le fonctionnement du symbole monétaire comme articulation différentielle des deux, contient un pli, une détermination de sa règle d’usage, de son langage, par la pratique de lui-même25. Ce principe d’enveloppement de la forme d’expression par la forme de contenu, du dicible par le visible, participe de la construction d’une « évidence » (Foucault 2001a, 404) : la monétisation est le vecteur de la rationalisation (Orléan 2009, 244). Et c’est précisément parce que cette cause ignore les formes, qu’elle s’actualise dans un duel qui formera des matières visibles et des fonctions énonçables (Deleuze 1986) : l’unité de mesure de la grandeur des objets économiques (qui sont des relations) est évidemment et systématiquement monétaire. Cette disjonction systématique des formes est donc le lieu – en fait le « non-lieu » – où le pouvoir implique le savoir, puisque le savoir est l’entrelacement du visible et de l’énonçable, et où inversement, le pouvoir en est la cause (Foucault 1975, 276).
Diablerie donc que ce rapport qui est aussi bien un « non-rapport » (Foucault 1973, 47)26. C’est que le savoir est inséparable de la procédure pratique qui l’établit, et ne se forme qu’à travers des problématisations issues de pratiques (Foucault 1983, 17). Les rapports de pouvoir désignent l’« autre chose » à quoi les énoncés – et les visibilités – renvoient. Ces rapports de pouvoir, ces rapports de forces, sont aussi bien un « non-rapport » de formes, puisqu’il subsiste toujours un espace, « une petite bande mince, incolore et neutre », qui peut enfler entre le visible et l’énoncé, laissant alors retomber chacun de son coté selon la gravité qui lui est propre. Espace en forme de blanc, écart, qui peut se plier sur lui-même, inversant alors un rapport d’identité, de redoublement, de légende, en un rapport de non identité. Le pli se fait épaisseur entre le dit et le vu, le mot et la chose, le texte et la figure, le signe et la police de caractère, la monnaie et la valeur, le dessin de la pipe et l’énoncé « ceci est une pipe », l’identité apparaît ainsi comme rapport de non identité : « ceci n’est pas une pipe » (Foucault 1973, 47 ; 2001a, 1039-41, et 2001b, 404), énoncé d’hétéroréférence renvoyée à son autoréférence foncière, allégorie de la figuration elle-même. Le geste démonstratif (ceci) est mis en évidence comme tel. Et celui-ci, bien qu’il soit a priori équivalence de la similitude et de l’affirmation, ne l’est pas forcément. Car plus encore vers le dehors, infiniment décoordonné, ce rapport peut se montrer lui-même (« “ceci” n’est pas une pipe ») comme non rapport : « Les Deux Mystères de l’Aube à l’Antipode », parole donnée à l’intervalle lui-même. Ainsi, à l’occasion la monnaie peut tout aussi bien symboliser l’absence de valeur.
Il faut donc ouvrir le symbole lui-même par le milieu pour penser la signification de l’espace de circulation en forme d’impensé qui l’institue. Ainsi se pose ce problème pour Max Weber dans son article sur l’idéaltype en 1904 : « Les caractères génériques de l’échange, de l’achat, etc., intéressent le juriste, mais ce qui importe à nous, économistes, c’est l’analyse de la signification culturelle de la situation historique qui fait que l’échange est de nos jours un phénomène de masse. » (Weber 1965)
6 – Monnaie et gouvernementalité
Pour Foucault, le problème de la volonté de savoir – ou de la volonté de vérité – peut être approché par le problème de l’esthétique de l’existence, par le problème du souci de soi du sujet souverain de la connaissance : que faire de soi-même ? Qu’est-ce que le sujet cherche à faire de lui-même en cherchant à connaître, à juger, à dire le vrai, à propos de tel ou tel objet (qui peut-être le sujet lui-même) ? Ainsi, l’épistémologie de Foucault se développe autour du problème du gouvernement de soi :
Comment les hommes se gouvernent-ils eux-mêmes, et les autres, à travers la production de vérités (je le répète encore, par production de vérités je n’entends pas production d’énoncés vrais mais aménagement de domaines où la pratique du vrai et du faux peut-être à la fois réglée et pertinente) ?(Foucault 2001b, 846)
À cet endroit, de l’enchevêtrement du savoir et du pouvoir, se forme le socle d’un concept central : le concept de gouvernementalité27. Ainsi, Foucault installe le problème du gouvernement, non dans une théorie de l’État, mais dans une problématique historique du rapport du sujet souverain à la contrainte budgétaire, à l’intersection de techniques d’individualisation (l’intérêt, l’optimisation…), et de procédures totalisantes du corps (la catégorisation, la comptabilité…), toutes deux constitutives du dispositif marché comme lieu de production de vérité à partir duquel le sujet souverain ajuste son comportement28.
Cette réflexion du problème gouvernemental du sujet sur lui-même implique une détermination de la volonté de savoir ouverte sur une stratification historique faite de compositions de connaissances de soi (avec monnaie comme opérateur de savoir) sur des pratiques de soi (avec monnaie comme opérateur de pouvoir). Ainsi, dans la perspective de cette articulation savoir/pouvoir/sujet, l’archéologie de la fonction symbolique de la monnaie présente trois principales strates épistémologiques : l’antiquité platonicienne (a), le renouvellement du xiie siècle (b), et le basculement moderne à partir du xvie siècle (c).
a) À partir de la philosophie platonicienne, le sujet souverain – le sujet du principe d’autonomie de droit et de fait – développe son identité sur un clivage définitif entre le sujet de la connaissance de soi et le sujet de la pratique de soi. Contre la sophistique et la rhétorique, la philosophie se développe sur le principe que le savoir est nécessairement exclusion du pouvoir (Foucault 2009). De là, corrélatif du savoir mathématique de la mesure et de la quantification, se développe le savoir aristotélicien de l’encyclopédie et de l’enquête (Foucault 2001a, 1438-9).
Là, il s’agit de remonter au point d’évanouissement, comme en amont historique, de l’idée a priori de la neutralité des apparences sur les essences, du nominal sur le réel, de l’intransitivité des mots sur les choses, de l’ignorance des effets des pratiques de soi sur la connaissance de soi (Foucault 2001b, 1603). Il s’agit de revenir à un moment historique où les conditions pratiques, économiques et politiques, ne sont ni voiles ni obstacles au sujet de connaissance – non pas idéologie, mais ce à travers quoi se forme le sujet de connaissance (Foucault 2001a, 1420-1, 1108-12, et 1257-60). Mais, sur quelle histoire repose l’évidence de l’efficacité de l’enquête29 dans le procès d’accès à la vérité, comme pli d’une pratique juridictionnelle (devoir à l’égard de soi) du sujet souverain sur le sujet de connaissance ?
En fait selon Foucault, le mythe fondateur d’un rapport antinomique entre connaissance et pouvoir politique se trouve dans la tragédie de Sophocle : Œdipe roi 30. Ce texte est la plus ancienne trace écrite des pratiques judiciaires grecques parlant du symbole et de son jeu (symbolon : « jeter avec »). Il s’y raconte comment un individu souverain et un peuple procèdent, selon un certain nombre de techniques, à une recherche de vérité, à un ajustement de l’ordre des choses à l’harmonie du Cosmos (symétrie comme opérateur analogique de mesure). On y trouve le cheminement tragique du souverain dans les jeux de la vérité, l’ajustement du juridictionnel par le véridictionnel.
Archaïquement, avant cela, l’ajustement des points de vue aux états de faits (« se rendre à l’évidence »), reposait sur la pratique de l’épreuve de confrontation de forces (agon) : le succès ou l’échec du défi établissait de facto la coïncidence de la vérité de la souveraineté, à la souveraineté de la vérité (Foucault 2001a, 1424). Reste que, dans l’antiquité hellénique jusqu’à l’effondrement de l’empire romain, le modèle de l’enquête recouvre la pratique de l’épreuve, par une pratique véridictionnelle spécifique que Foucault appelle « jeu des moitiés » (Cf. Tessère : symbolon qui, brisé par moitié et joint au porteur d’un message vers le récepteur à qui a été confié l’autre moitié, permet au sujet souverain d’en faire circuler l’authenticité, la valeur, ou d’en contrôler l’accès sous le sceau du secret). En effet, la tragédie d’Œdipe procède d’un jeu de circulation de moitiés, une sorte de puzzle, par ajustement de la prophétie, de la prédiction (futur) d’une part, à d’autre part, l’observation rapportée, le témoignage (passé-présent) (Foucault 2001a, 1425-8).
Or, l’évidence qui ressort finalement de la tragédie d’Œdipe-roi tient justement en ce que lorsqu’Œdipe peut, il ne sait pas, et lorsqu’il sait, il perd le pouvoir. Hétérotopie mythique du savoir au lieu du pouvoir conclut Foucault (2001a, 1433-7). C’est ainsi dans le monde hellénique au ve s. av. J.-C., lors du démantèlement de la figure d’un pouvoir qui serait en même temps savoir (le tyran), que se forge le face à face du discours historique au discours nomologique dans l’ordre du véridictionnel31. Analogiquement, au clivage de l’empirique et du théorique se superpose le clivage du pouvoir et du savoir (Foucault 2001b, 959-67).
b) Ensuite, Foucault souligne que, dans la chrétienté primitive, aux alentours du iiie s. ap. J.-C., il existe un coup de force de la connaissance de soi, sur le souci de soi. Car il apparaît que se soucier de soi, ce n’est plus tellement se pratiquer soi même, mais c’est plutôt exclusivement viser à se connaître soi-même. Se voir dans le même que soi-même comme dans le miroir le plus divin. C’est un rapport au divin qui se donne comme condition, mesure, du rapport au soi. C’est là, à passion fixée, monopolisée par l’Église, à travers la persistance de ce pli apathique, que s’établiront, à l’orée de la modernité, les conditions d’accès à la vérité, dans un mouvement de connaissance soit disant pure, détaché de réflexion explicite sur les pratiques de soi spécifiques (qui étaient pourtant si diverses dans l’antiquité). Ensuite, bien plus tard, à la Renaissance, le rapport au divin, comme condition d’accès à la vérité, laissera place au rapport aux natures. Ainsi, le rapport de la pratique de soi à son efficace clos définitivement le problème cynique de la nature de l’économie32, pour le problème platonicien de l’économie de la nature.
Cela dit, durant le Moyen Âge, cette pratique de l’enquête aurait été totalement oubliée, remarque Foucault, si l’Église ne l’avait portée dans sa propre organisation, liée à la technologie de l’aveu. En fait, ce modèle ne s’y est pas transporté à travers le Moyen Âge sans que son ancrage ne donne lieu à une profonde réflexion sur l’économie, comme discipline de l’articulation du visible (produit), à l’invisible qui lui donne son sens, c’est-à-dire comme relation iconique, trajet du verbe qui donne chair au logos divin, à l’être juste33.
Reste que, le resurgissement séculier de l’enquête au xii e siècle, constitue un considérable point de bascule de la conception de la justice, de la conception de l’articulation de l’ordre à l’harmonie (Foucault 2001a, 1445 sq.). C’est que, l’enquête procure, dans le rapport du juridictionnel au véridictionnel, au-delà du flagrant délit, un prolongement de l’actualité, un mode d’articulation du visible à l’invisible, un mode d’articulation du virtuel à l’actuel, et donc, au-delà de la logique agonistique de l’épreuve et de la dispute, un point de base de la virtualisation du réel, qui va lentement percoler une intensification du problème aristotélicien des degrés du possible.
Cela dit, à la lumière des séries d’archives, Foucault remarque que cette constitution historique du socle d’une sorte d’escalade sémantique des pratiques d’établissement de la vérité (i.e. « le véhicule de l’objectivation de l’être ») ne se fait pas sur la base d’une quelconque fondation ou progression idéale de la rationalité (Foucault 2001a, 1452).
c) Ensuite, la rationalité politique, comme savoir constitutif du pouvoir souverain, connaît un basculement profond à partir du xvie siècle. Sur la base d’une réflexion politique, qui dans la tradition d’Aristote se pose le problème du bon gouvernement et place le Prince au service de valeurs théologiques (problème du rapport du Prince au Divin), l’irruption de l’instrumentalisme machiavélien d’une part (problème du rapport du Prince à l’État), et de la réforme luthérienne d’autre part, va rendre visible le développement d’une pensée de la raison d’État dans l’épistémè classique (Foucault 1988, 145-62).
C’est alors sous une nouvelle modalité que le principe d’harmonie vient se connecter avec un principe d’ordre34. C’est que l’expansion de la puissance de l’État se lie irréductiblement à l’ordre de ses constituants dans une population35. Un nouveau complexe de savoirs et de pouvoirs déploie ainsi son vecteur disciplinaire. Au-delà des implications de la réforme luthérienne étudiées par Max Weber, Foucault résume cette nouvelle rationalité politique sous le concept de biopouvoir : pouvoir exercé sur les manières de vivre, sur les pratiques de soi des sujets du souverain (Dreyfus et Rabinow 1992, 195-207).
C’est seulement alors, que cette dimension subjectivante du pouvoir devient proprement politique (Foucault 2004a). Le régime juridictionnel de la souveraineté vient s’articuler sur un régime véridictionnel fondé en nature. L’emboîtement du politique et de la nature, des lois politiques et des lois de la nature, est le symptôme de cette nouvelle configuration de rapports entre savoir et pouvoir.
La pratique de soi du sujet souverain est ainsi l’objet d’une réflexion en termes de connaissance de soi du sujet souverain, c’est-à-dire dans les termes d’une rationalisation gouvernementale de l’État : une économie politique (Desrosières 1993). C’est que, le corps du souverain se trouve pulvérisé dans une nature (la population), à laquelle le sujet de connaissance n’accède qu’à travers la fiabilité d’une série de mesures stables (Desrosières 2005, 2008). Le dispositif empirico-administratif s’agence donc corrélativement à la linéarisation de son objet, dans la dimension d’un couplage pouvoir-savoir exempt de toute réflexion sur les pratiques a priori du sujet impliquées par les catégories de pensée (Brian 1994).
Reste que c’est au basculement de l’épistémè classique vers l’épistémè moderne au xviiie siècle – basculement qui marque l’avènement à sa raison explicite d’un problème de gouvernement par la production de vérité – que le marché s’institue comme lieu de production de vérité à partir du quel le sujet souverain peut ajuster son comportement (Foucault 2004a, 2004b).
7 – Fonction symbolique de la monnaie et raison d’État
La généalogie foucaldienne du problème du gouvernement de soi montre un basculement de perspective considérable au tournant du xviiie siècle. À la suite de Foucault, ce déplacement de perspective du problème moral a été l’objet d’une étude généalogique Hume-Smith-Kant par Gilles Deleuze. Ce problème n’est pas du tout celui d’un quelconque contrat de nature, mais est plutôt, dans la filiation du problème chrématistique aristotélicien, celui de l’artifice qui permet d’étendre la sympathie corrélativement au développement de la société (Deleuze 1953, et 2003)36.
D’abord, ce fut avec la réforme luthérienne de la vocation que les questions de la croyance, du salut, et de la quotidienneté, furent liées au point que la profession se trouve projetée dans le temps de la banalité quotidienne d’un espace urbain (linéaire chronologique, et donc hodologique), fait d’instants quelconques, de telle sorte qu’il soit producteur d’argent (Deleuze 1982/1985, 27/03/1984). Autrement dit, dans l’ordre du discours, en deçà des actions échouées, des croyances fantaisistes et des justifications plus ou moins crédibles des acteurs, la fonction symbolique de la monnaie est dès lors d’impliquer le sujet dans la dimension du « dire vrai », c’est-à-dire dans le principe de rationalité : il s’agit de « prendre au sérieux » le rôle joué dans l’espace transactionnel, les flux monétaires révélant les préférences, et produisant des structures de risques qui gouvernent en probabilités les comportements.
Ce réseau de correspondance des passifs des uns (devoirs) dans les actions des autres (avoirs) peut-être saisi, non comme une infrastructure, mais comme un diagramme37. De là, l’ambivalence diagrammatique de la fonction symbolique de la monnaie – entre savoir et pouvoir – peut être lue chez Deleuze à travers une distinction entre formations organiques (hétéroréférentielles) et formations cristallines (autoréférentielles) (Deleuze 1982/1985, 22/11/1983 et 15/05/1984)38.
Dans les formations organiques (actionnelles), le réel de l’objet est supposé excéder la description qui en est faite (le nominal monétaire manifeste la substantive valeur). La description n’est pas à elle-même son propre objet, mais renvoie à un objet supposé indépendant, un objet qui se prolonge, hors de la perception d’un sujet, dans des perceptions possibles. Mais, dans ces possibles perceptions, l’espace est fermeture, et le temps est ouverture ; l’espace ne s’ouvre qu’à condition de fermer le temps39.
Les formations cristallines (passionnelles) au contraire, sont définies par une indiscernabilité du réel et de l’imaginaire, qui les met en circuit dans une réalité de transaction, où la description de l’un réfléchit celle de l’autre, autour d’un point d’indistinction, dans un certain type d’agencement formel (cf. la Bildgalerie de Maurits Cornelis Escher 1956 par exemple) consolidé d’échange entre une image virtuelle et une image actuelle40
Ainsi se réalise pour le sujet souverain le pli rationnel de la passion dans l’action, l’intégration de flux de forces dans des segments de formes, l’intégration du schème organiciste sensori-moteur d’après le choix (conséquentialisme) dans l’imaginaire d’avant le choix. Cela correspond en fait au problème classique de l’automate spirituel41. Deleuze rappelle en effet que c’est sur cette énigme dite de la nature humaine que David Hume était venu déployer la grille de sa théorie empiriste des associations d’images fondées sur l’habitude : comment dépasser le donné pour juger au-delà ? Résolu dans le principe de raison d’État42 – principe de stabilité – le problème de la vérité de la vérité trouve son principe dans la stabilité des rapports d’idées liées par ressemblance, contiguïté, causalité, étendant la sympathie de l’individu pour ses semblables, ses proches, ses parents, à l’ensemble de la société, par l’artifice d’un législateur qui institue sur cette base un monde objectif (Deleuze 2003). La logique du « doux commerce » est ainsi une économie des passions.
Dans la filiation d’une pensée néoplatonicienne, la réforme luthérienne de l’entendement poursuit ainsi sa maturation, avec Kant, qui dépasse la vieille métaphysique platonicienne du savoir des essences révélées au delà des apparences, pour une métaphysique de la croyance fondée en intensités (en degrés), dans le plan d’un entendement extensif (en quantités) de temps et d’espace.
Dans cette perspective kantienne, on peut avancer un certain nombre d’éléments quant à la substance – métaphysique – de la monnaie : il y a une chute idéelle, du virtuel dans l’actuel, une chute de la lumière dans la matière. La lumière étant faite de distinctions intrinsèques43, et la matière de distinctions extrinsèques44, c’est-à-dire faite de rigidités, de résistances, et donc en tant que telle, substance réelle mais a priori indéfinie45. Et alors que l’anomalie de l’intention, c’est la peur, l’anomalie de l’extension, c’est la crise. Reste que le lieu de l’« extensio », l’espace, est l’« extensum » : l’étendu, sol résistant, base de la manifestation du principe de moindre action, point d’ancrage de toutes les stabilités46. Où l’être qui n’est plus, égale zéro, l’être qui n’est pas encore, égale zéro, l’être même égale zéro, parce qu’à la limite du « n’est plus », et du « n’est pas encore », à la limite du devenir47. Le temps vécu n’y est pas un « maintenant », ce n’est pas un « instant privilégié ». Car, alors que l’espace est à la limite de l’évanouissement du temps et de l’être dans son éternité, ce zéro du point de vue du temps est instant quelconque. Solennelle peur liée au temps donc, que cette destitution kantienne (dans la Critique de la raison pure) de l’instant privilégié par l’instant quelconque (à moins de partir à la recherche du temps perdu)48. C’est que, le monde des distinctions géométriques – distinctions rigides propres à l’espace – une fois projetées dans le temps, du point de vue du temps, mène au néant, au zéro, c’est-à-dire au devenir fermé.
Ainsi réunies dans un jeu entre forme de contenu (valeur) et forme d’expression (prix), les deux moitiés du symbole monétaire (objet unité-sigle/prix de l’objet) mettent en lumière la fonction symbolique qu’elles secrètent : l’idée pure de quantité49. Non pas encore mesure, ni nombre, ni masse, mais plus fondamentalement pur potentiel d’extension. L’opération qui la constitue, ne se fait pas par production, reproduction, ou auto-génération, mais plutôt par la mise en rapport des concepts d’unité et d’extensivité. Extensivité qui s’effectue par l’opération sur elle-même, mais extrinsèque, d’une unité intrinsèquement définie par son intensité propre. Ainsi se forme un plateau, un espace actionnel fonction de son temps propre50.
Le temps – intensif pur – ne se pense qu’hors espace, et l’espace – extensif pur – ne s’analyse qu’hors temps. Par rapport à la monnaie, l’espace n’apparaît dans le déploiement de son jeu que lorsque le temps est figé, comme point d’origine artificiel de la pensée : à temporum fixé, l’extensum peut jouer (du point de vue éternel : augmentations de la valeur), tout comme inversement : à extensum fixé, le temporum peut jouer (du point de vue de l’actuel : synchronisations des activités). D’où le caractère ludion de ce symbole, visiblement pensable sur l’une de ses faces, seulement lorsque l’autre est prise à partie.
Ainsi peut s’expliquer le dialogue ambivalent qui articule, dans la théorie de la monnaie, les approches individualistes instrumentalistes et les approches holistes institutionnalistes. C’est que, lorsque le point de vue de la raison d’État se fait à partir d’un empirisme quantificateur par définition spatialisant, il apparaît a contrario à une théorie économique institutionnaliste que ce genre d’études analytiques instrumentalistes de la monnaie se révèlent inappropriées pour penser le temps monétaire historiquement réel. Et d’autre part, lorsque le point de vue de la raison d’État se fait à partir d’un rationalisme progressiste par définition historicisant, il apparaît a contrario à une théorie économique instrumentaliste que cette étude historique de la monnaie se révèle inappropriée pour penser l’espace monétaire actuellement réel (c’est-à-dire opérationnel).
Conclusion
La fonction symbolique de la monnaie c’est de quantifier, c’est d’inscrire les comportements dans le « dire vrai ». Et comme en tant qu’unité de compte, la monnaie manifeste une entité souveraine, un rapport à l’unité, une raison, alors, en un premier moment la fonction symbolique de la monnaie pose le problème platonicien (apparence/essence) de la crédibilité de l’ancrage de la convention de mesure de la valeur des choses : soit juridictionnelle (fondée sur le pouvoir d’un ordre fiscal), soit véridictionnelle (fondée sur le savoir d’un ordre naturel, une représentation du Cosmos, une harmonie). En un second moment, au fondement d’une philosophie du quotidien faite d’habitudes et d’incitations, et prenant acte de la fondation métaphysique kantienne du problème du degré de croyance qui rend obsolète le problème platonicien des apparences et des essences51, le problème de la fonction symbolique de la monnaie n’est plus celui de la connaissance du vrai ou du faux de la valeur, mais est de savoir à quelles conditions une croyance, une inférence, une affirmation qui dépasse le donné, peut-être légitime au-delà des prestiges de l’expérience et au-delà de l’imagination comme vocation de la pensée : problème des raisons de la croyance en la valeur d’un objet52.
Ainsi, les Classiques cherchaient à comprendre l’économie en termes d’interrelations entre les revenus des différents groupes sociaux (salaires, profits, rentes) ; les Néoclassiques bâtirent plutôt leur représentation de l’économie sur les interrelations entre marchés (Favereau 2000). Et finalement, au-delà de Keynes, dans les années 1970, les Nouveaux Classiques (Lucas, Sargent, etc.) trouvent l’origine de la valeur dans la fiabilité de l’ordre institutionnel, et représentent l’économique comme une virtualité à structurer, comme un espace cognitif à optimiser (Dosquet 2012). Dorénavant, l’analyse dichotomique nominal/réel étant dépassée, les perturbations monétaires sont considérées comme des confusions causées par l’irrationalité d’un dispositif institutionnel : ce n’est pas « Mère nature » qui est criminelle, mais un dispositif gouvernemental qui est inefficace. Ainsi, au-delà d’une problématisation kantienne, la focalisation disciplinaire sur le concept d’anticipation effectue un retour à une problématisation humienne, un retour au problème de l’automate spirituel.
Un souci impérieux de stabilité se fait alors jour dans les réflexions de la rationalité sur elle-même. Si les possibles sont stabilisés, alors l’actualité du réel se déroule sans surprises. Sinon… la catastrophe, l’impossible, l’invraisemblable et inéluctable – car nécessairement toujours plié dans le virtuel des possibles – se déploie dans l’actualité, et active la conscience fatale de la tragique gravité du monde au-delà de l’inauthentique liberté épique du sujet de l’intérêt. Une fois la catastrophe monétaire déclenchée, en fuite vers la stabilité, la ruée vers le pouvoir de réversibilité (préférence pour la liquidité53), alimente alors l’inquiétude, c’est-à-dire l’anéantissement de l’objet visé (la stabilité), ce qui produit l’extension de son manque, et donc la contagion de l’activité contra-réalisatrice. Car l’anormalité même du fait, pourtant survenu, déraille le quotidien quadrillé : le moment, trop intense, se fait évènement – moment irréversible, et ce à la mesure de la ruée que provoque l’image de son occurrence.
Ainsi, le surgissement de crises d’incertitudes explique la possibilité soudaine et subite de replis du processus de dématérialisation de la monnaie54. Ces catastrophes arrivent par des mouvements paniques de transferts d’actifs, de formes scripturales vers les formes fiduciaires, voire métalliques, ou même carrément marchandises55. Parce que « rematérialisants », et donc à rebours du développement idéaliste de la raison, de tels phénomènes de « crises » apparaissent a priori comme irrationnels. Reste que la science économique se charge d’en expliquer la rationalité. Le plus souvent il s’agira d’enraciner l’irrationalité dans une conception élargie de la rationalité, soit par un affinage de la temporalité de l’action, soit par un élargissement de la conceptualisation spatiale de l’évènement. Cela ouvre une strate problématique sophistiquée autour du problème des usages de la rationalité : un flou persiste sur ce qu’il faut entendre par comportement rationnel. Ainsi, au niveau de la philosophie des sciences économiques, une strate problématisant le dispositif institutionnel de la rationalisation se condense actuellement autour du problème dit « d’épistémologie sociale » : le problème de la rationalité de l’organisation sociale de la rationalité.
Notes
- Cf. Simmel 1987, 638. ↩︎
- Ce qui focalise l’analyse sur la question de la valeur intrinsèque de la monnaie, ses déterminants et ses implications. ↩︎
- En posant la question de la signification du fait que la monnaie soit considérée comme ayant une valeur intrinsèque – et la question du fonctionnement de ce dispositif, l’analyse focalise sur la monnaie comme langage. Certes, depuis l’analogie faite par Turgot, puis Saussure référant sa dichotomie signifiant/signifié à la théorie walrasienne de l’équilibre général, de nombreuses analyses économiques ont considéré la monnaie comme un moyen symbolique de communication entre individus, un langage avec ses signes, ses règles, et ses usages, qui permet d’entrer en transaction. Cependant, l’analogie monnaie/langage relève alors d’une conception naïve du langage comme simple système de communication. Déjà, Marschak (1965) soulignait la faible consistance de l’analyse économique sur ce point. Voir aussi Alcouffe 2013. ↩︎
- N.B. : Il ne s’agira donc pas d’étudier la monnaie chez Foucault (voir par exemple Cuillerai 2011), mais de proposer une analyse foucaldienne de la fonction symbolique de la monnaie. Les concepts-outils utilisés seront définis au fil du développement. ↩︎
- Bien que les premières générations de sociologues aient produites des analyses importantes à ce sujet, notamment : Simmel 1900 ; Durkheim 1911 ; Mauss 1914 ; Weber 1923 ; Simiand 1934. ↩︎
- N.B. : il ne s’agit pas de tenter de disqualifier la possibilité d’une approche unifiée du phénomène monétaire telle que la propose André Orléan (2009). Nous prenons simplement ici le parti de circonscrire explicitement le problème épistémologique traité. ↩︎
- Dans Le Capital, notamment dans le chapitre « Moyen de circulation », Marx parle non de vitesse de circulation de la monnaie mais de vitesse de métamorphose des actifs. ↩︎
- Le système se boucle en ce que le travail pour l’acquisition de monnaie, crée des richesses, donc détruit de la dette, c’est-à-dire détruit de la monnaie. En somme, en quelque sorte, le volume de monnaie en circulation est à proportion de « justice en suspens » de résolution. Cela correspond à l’hypothèse d’un lien social fondé sur la dette (Aglietta et Cartelier 1998, 129), c’est-à-dire sur le devoir, forme juridictionnelle de la nécessité. ↩︎
- Voir également : Von Mises (1985, chap. 17), et Hodgson (1992). ↩︎
- Par exemple le système de la Pax Romana articule Rome, sa puissance armée, et les populations des provinces dans un même système juridico-fiscal de circulation de la monnaie (du latin moneta, « la seule, l’unique », épithète de Junon dans le temple de laquelle on frappait la monnaie, et de monere : « avertir ») : Rome s’autonomise de sa dette militaire par le versement de la solde aux légionnaires. Elle est ensuite dépensée par ces derniers pour l’acquisition non violente de marchandises auprès des autochtones, qui l’accepteront d’autant qu’elle leur permettra de s’acquitter du recensement censitaire. L’impôt marquera leur appartenance à la citoyenneté romaine, participera à la définition des hiérarchies sociales, et ramènera la monnaie à l’émetteur. Pour une introduction à l’analyse dite « holiste » de la monnaie, voir : Aglietta et Orléan 1982, 1998, 2002. Quant à la question de l’origine, voir entre autres : Orléan 1991, 1992a, Mundell 1999. ↩︎
- Bien entendu, il ne s’agit ici ni de retracer une quelconque synthèse de cette histoire, ni de rendre compte de la vaste littérature traitant de ces questions (pour une première approche, voir entre autres : Aglietta et Orléan 2002 ; Théret 2008. On se bornera seulement à avancer quelques éléments de discussions sur le processus de dématérialisation, pertinents au point de vue de la problématique que nous cherchons à composer ici. ↩︎
- Une croyance (du sanscrit kred d’où dérive le latin credere) peut se définir ainsi, comme chez Benveniste : un investissement de forme, une projection de contenu dans un objet, une opération constitutive de l’unité d’un sujet. ↩︎
- De ce point de vue, une attitude s’inscrit dans une geste, une coordination d’attitudes (Deleuze 1982/1985, 22/01/1985). Ainsi, la monnaie sert à dénoter la valeur des activités (vir), et d’autre part s’indexe sur elles comme prix signifiant d’un pouvoir d’achat (cis) ; alors se pose le problème de savoir ce qu’elle symbolise en tant que telle ? Pour une approche anthropologique de ce problème voir Godelier 1977. ↩︎
- Pour une étude historique des pratiques de valorisations qui mènent les actions et leurs produits jusqu’au marché, voir : Cochoy 1999. Et pour une approche sociologique : Callon et al. 2007. ↩︎
- L’icône, l’image efficace, est (notamment chez Pierce) un signe qui a rapport à l’objet du fait de ses propriétés intrinsèques ; c’est une qualité, ou puissance, en tant qu’exprimée. Il sera symbole en tant que son rapport à l’objet est réglé par une loi, abstraite-naturelle ou historique-conventionnelle. Cf. Deleuze 1982/1985, 21/12/1982. ↩︎
- wVoir : Foucault 2001a, 233-43, 247, et 1462. Et Deleuze et Guattari 1980, 176-7. Par exemple, un cadeau signifie une grâce et symbolise l’amitié. ↩︎
- Un symbole est alors une signification investie en image. Pour Freud : « Le symbole, c’est la mince surface de contact, cette pellicule qui sépare tout en les joignant un monde intérieur et un monde extérieur, l’instance de pulsion inconsciente et celle de la conscience perceptive, le moment du langage implicite, et celui de l’image sensible ». Cf. Foucault 2001a, 100. Par ailleurs, sur la fonction symbolique de l’argent chez Freud, cf. Reiss-Schimmel 1993. ↩︎
- « L’association rappelle à la conscience des contenus en leur laissant le soin de se rattacher aux contenus donnés suivant la loi de leurs essences respectives. » Edmund Husserl, cité in Foucault 2001a, 103. Et cf. Foucault 2001a, 97-108 et Husserl 2001. Reste donc en suspens une problématique des règles d’usages associatives, cf. Deleuze 1982/1985, 21/12/1982, 05/03/1985, et 12/03/1985. ↩︎
- Ce qui produit à ce propos des résultats très intéressants, car en 1972 Michel Foucault est aux États-Unis. Impressionné par les effets du marasme économique, il entame une profonde réflexion sur l’histoire politique du New Deal et l’origine de la monnaie. Cf. Defert, in Foucault 2001a, 55 et 73. En fait, l’étude des archives personnelles de Michel Foucault révèle qu’il s’était déjà constitué un très important dossier de notes de synthèses et de réflexions sur la littérature secondaire à propos de la théorie de la monnaie pour l’écriture de Les mots et les choses. ↩︎
- Et sur le problème du centre de perception mobile, voir la définition de « la chose liquide » chez Deleuze (1982/1985, 11/01/1983) : « Il y a un pouvoir de vérité de l’eau, dont la terre est dénuée. » ↩︎
- Cf. Simmel 1987, 637-8. Les approches holistes de la monnaie trouvent là le fondement de leur méthode, cf. Orléan 1992b. « C’est la monnaie elle-même qui est l’origine des individus. Georg Simmel exprime remarquablement cette idée. » Cf. Cartelier 1995, 109 et Simmel 1987, 643-50. ↩︎
- Mais pas intégralement logico combinatoire comme dans le paradoxe des classes que Bertrand Russell formalise en 1902, cf. Russell 1961, 94-5. ↩︎
- Cf. Weber 1965, 121, et pour la définition de la dichotomie rationalité formelle/matérielle concernant les problématiques monétaires chez Weber, voir : Weber 1971, 130 et suivantes ↩︎
- Cf. Canguilhem, in Foucault 2001a, 480. ↩︎
- Dans la filiation de Foucault, voir : Pérez 1986. Pour d’autres exemples de fonctions symboliques, voir : Foucault 1963, 108-17, et Foucault 1973, 19-25. ↩︎
- L’historien Marcel Gauchet, d’ailleurs, dans une fabuleuse étude de la sorcellerie à l’époque de la constitution des concepts fondamentaux de l’État moderne en Europe, commentait ainsi la passion quasi obsessionnelle de Jean Bodin pour la démonologie : « La détermination du présent se fait toujours sous le signe de l’invisibilité. » Cf. Gauchet 1993. Voir également : Gauchet 1985 ; Foucault 2001a, 655-58 et 781-94 ; Kiyotaki et Moore 2002. ↩︎
- L’intuition du concept de gouvernementalité (annoncé le 1 er février 1978) remonte au cours du 1 er mars 1978, alors que Foucault étudie, à travers les transformations du contenu du concept de gouvernement, le problème de l’oikonomia sukon chez Grégoire de Naziance, c’est-à-dire le problème de la pratique de la « conduite des âmes » (problème lié à celui de l’économie de la vérité, oikonomêtenai tên alêtheian). Cf. Foucault 2004a. La gouvernementalité selon Foucault, c’est un type de pouvoir, d’acte sur les actes. Ce type de pouvoir se caractérise par sa visée : la constitution du sujet, et se qualifie donc comme technologie de soi. La nécessité de cette recherche dans le travail de Foucault s’était enkystée à partir de l’étude du problème du sujet de l’expérience dans La volonté de savoir en 1976. ↩︎
- Pour une introduction aux apports des analyses foucaldiennes dans les sciences de gestion, cf. Chiapello et Gilbert 2009. ↩︎
- Comme procès d’une circulation du point de vue, d’une quête de placement adéquat, créatrice de profondeur en surface, un trajet inoubliable (alètheia). Cf. Foucault 2009 et Deleuze 1982/1985, 28/02/1984. ↩︎
- « Il me semble qu’il y a réellement un complexe d’Œdipe dans notre civilisation, […] non pas à propos du désir et de l’inconscient, mais à propos du pouvoir et du savoir. » Cf. Foucault 2001a, 1423. ↩︎
- « Ainsi, par delà un pouvoir qui est devenu monumentalement aveugle comme Œdipe, il y a les bergers, qui se souviennent, et les devins, qui disent la vérité. » Cf. Foucault 2001a, 1437. ↩︎
- Foucault (2009, « Leçon du 7 mars 1984 ») analyse le principe fondamental du cynisme antique à travers l’adresse de l’Oracle de Delphes à Diogène : « Falsifie la valeur de la monnaie » (Paracharattein to nomisma, difficile à traduire, on pourrait tout aussi bien l’interpréter comme « altère la figure de la coutume » ou « change le caractère de la loi »). ↩︎
- Cf. Foucault 2001a, 1451 ; Deleuze 1982/1985, 20/12/1983 et 07/02/1984 ; Mondzain 1996 ; Guastini 2011. ↩︎
- « Puisqu’on ne peut plus imposer de principe extérieur d’harmonie ou de limite, il n’y a pas de limite intrinsèque à la force qu’un État peut acquérir. » Cf. Dreyfus et Rabinow 1992, 202. ↩︎
- La circulation monétaire est à la fois l’enjeu et l’opérateur de cet ajustement des constituants du sujet souverain. Par exemple, chez Jean Bodin, dans le chapitre sur le recensement dans les Six livres de la République, la statistique sociale qu’il appelle de ses vœux est d’emblée une stratégie politique de l’opinion (Reynié 1992, 27), elle n’a pas seulement un usage d’enquête publique en vue d’une gestion fiscale plus efficace, c’est surtout un outil de censure. Ainsi l’« esprit public » chez Bodin est une des premières tentatives d’articulation du nombre des sujets (forme de contenu, extensif) et de leur qualité (forme d’expression, intensif). On a la formation du socle d’une technologie gouvernementale moderne où la qualité d’un sujet (intensive) est une propriété émergente d’une quantité d’avoirs (extensive). Ainsi, lorsque la qualité (la liquidité par exemple (c’est que l’échelle des statuts de sujets se traduit dans la dimension du pouvoir dans les termes d’une capacité d’action)) est une propriété émergente de la quantité (fut-elle innombrable comme foule), alors entre en résonance la puissance d’expressivité de l’image de la masse par la manifestation d’elle-même. Cf. Canetti 1986. ↩︎
- Et sur le développement du souci moderne de transparence de l’ordre social des « sociétés de contrôle » fonctionnant par « mot d’ordre » lié à une politique du regard, voir : Deleuze et Guattari 1980, chap. 4 et Foucault 2001b, 204. ↩︎
- Sur le régime d’invisibilité des déterminants de l’intérêt individuel chez Smith, cf. Foucault 2004b, 281. ↩︎
- L’empirisme transcendantal deleuzien vient ainsi réactiver la rupture idéaliste d’Hegel par rapport à Kant sur l’argument ontologique, dans laquelle Feuerbach (1960) et Marx (1970, 286) étaient venus mettre leur grain de sel : « Si quelqu’un s’imagine posséder cent thalers, si cette représentation n’est pas pour lui une représentation subjective quelconque, s’il y croit, les cent thalers imaginés ont pour lui la même valeur que les cent thalers. Il contractera, par exemple, des dettes sur sa fortune imaginaire, cette fortune aura le même effet que celle qui a permis à l’humanité entière de contracter des dettes sur ses dieux. » ↩︎
- Cela résonne avec l’usage des concepts de temps et d’espace chez Foucault (2001b, 33). ↩︎
- Prolongeant les concepts bergsonien de coalescence et bachelardien d’image mutuelle, l’image cristal chez Deleuze est un circuit de miroirs, dans une situation non sensori-motrice. La description actuelle est coupée de ses enchaînements sensori-moteurs dans d’autres actuels (« rien à faire »). L’observateur n’est plus actant, mais voyant. Tel que, plus le dispositif multiplie ses échanges, ses facettes en abîme, plus l’image virtuelle devient actuelle et plus l’image actuelle devient virtuelle. Paradoxe de l’acteur sur scène : accolé à son rôle (virtuel), l’acteur est un personnage actuel, il donne son actualité au rôle, comme un germe cristallise son milieu. Alors, l’image virtuelle du rôle devient limpide, Hamlet en personne. Du coup, l’actualité de l’acteur est poussée hors champ, elle devient opaque, et donc virtuelle. Le circuit peut être en formation, achevé, fêlé, ou même en décomposition. Il est émergeant de la connexion de l’ordre limpide et lumineux de la liturgie fonctionnelle sur le pont du bateau, à mesure que les matelots se conforment à leurs rôles opaques, et de la dramaturgie des règlements de comptes illuminés et obscurs dans le fond de la cale. Cf. Deleuze 1982/1985, 29/05/1984. ↩︎
- D’un point de vue deleuzien, la fonction symbolique de la monnaie peut être considérée comme automate asocial producteur d’états de faits manifestant les jugements de valeurs (évidences). La monnaie fonctionne alors comme unité soustraite à la multiplicité afin de la réaliser comme unité (Petitot et Rosenstiehl 1974), occupant par là même la place du « Peuple » (l’unité qui manque), et opérant en tant que diagramme d’articulation d’un pouvoir-savoir des possibles et d’un savoir-pouvoir gouvernemental. ↩︎
- La raison d’État étant définie par Foucault comme l’ensemble des nécessités propres à l’exercice du pouvoir gouvernemental. ↩︎
- Propres à une quantité intensive, en deçà de l’unité, où la multiplicité est saisie comme degré de l’unité (comme dans une communauté). ↩︎
- Propres à une quantité extensive, au-delà de l’unité, où la multiplicité est saisie comme agrégat d’un tout (comme dans une société). ↩︎
- Par ailleurs, voir : Menger 1892, où il traite du problème du quantum de valeur par l’articulation des déterminations intrinsèques de la valeur de la monnaie, et des déterminations extrinsèques des valeurs des marchandises. ↩︎
- Cf. Ekeland 2000. Rappelons que l’espace euclidien, peut être définit comme espace, ou projection d’espace, où les tensions se résolvent selon des lois d’extremums, donc d’optimisation (Deleuze 1982/1985, 15/05/1984). ↩︎
- Rem. : déjà, on trouvait une conception moderne du zéro dans le texte source de l’intuition dialectique de Hegel : Kant 1980. Par ailleurs, voir : Foucault 1978, x-xii, et xviii-xx. ↩︎
- Cf. Deleuze 1969, 169-217. Pour une synthèse de sa théorie sur la production industrielle des images de la pensée, voir : Deleuze 1969, chap. 3. ↩︎
- N.B. : John M. Keynes pose ainsi dès la première page de son Traité de la monnaie : « La monnaie de compte, c’est à dire ce en quoi sont exprimés les Prix, les Dettes et le Pouvoir d’Achat général, est le concept premier d’une théorie de la monnaie. » ↩︎
- Pour une réflexion sur la mesure (mise en rapport des concepts de grandeur et d’unité) du temps (comme présence du présent) chez Deleuze, voir : Deleuze 1982/1985, 22/03/1983. ↩︎
- Cf. Deleuze et Guattari 1980, 532-3 et 552-64. ↩︎
- Cf. Deleuze 1982/1985, 06/11/1984. N.B. : Dans la modernité, comment la valeur constitutive du travail (ou même de l’utilité) se comprendrait-elle hors d’un système de paiement préalable, c’est-à-dire hors d’un système de contrainte (budgétaire) a priori donné comme système de « portes d’accès aux moyens de libération » ? Cf. Cartelier 1995, 45-9. Ainsi, toute question de conditions de possibilité prend spontanément la forme d’un retournement subjectif, d’un questionnement sur la forme du sujet. C’est là une hypothèse forte au fondement de l’empirisme transcendantal deleuzien : la découverte des conditions de l’expérience suppose elle même une expérience dont les conditions ne sont jamais générales. Cf. Sauvagnargues 2003, 171. ↩︎
- Keynes la définit comme une disposition psychologique à l’égard du temps, c’est-à-dire à l’égard de l’incertitude, qui pousse les agents à vouloir détenir leurs avoirs sous une forme réversible afin de parer à toutes éventualités. ↩︎
- N.B. : processus historique (observé par Simmel) corrélatif du processus de rationalisation des comportements (observé par Weber). ↩︎
- Et, corollaire inverse de ce point de vue, on voit ainsi que la protection des salariés d’un système économique participe au renforcement du pouvoir d’achat de sa monnaie. En effet, des salariés protégés peuvent tenir leurs promesses bancaires composant la contrepartie interne. Cette « crédibilité du réel » alimente fondamentalement la stabilité d’une monnaie. ↩︎