- Introduction1
- 1 – Le débat sur le revenu de base : repères historiques et typologiques et éléments clés
- 2 – La chasse aux resquilleurs dans le débat éthique (objection de réciprocité)
- 3 – Le triomphe fondé de l’animal laborans dans le débat économique
- 4 – Les enjeux de l’empowerment de l’agent économique dans le débat sur le RBI
- Conclusion
- Notes
- Bibliographie
- Mots-clefs
C’est une société de travailleurs que l’on va délivrer des chaînes du travail, et cette société ne sait plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner cette liberté.
Arendt, 1983, 37.
Introduction1
Dans son acceptation courante, le revenu de base – aussi appelé allocation universelle, revenu d’existence, dividende social, revenu garanti, etc.– désigne un revenu versé par une communauté politique à tous ses membres, de manière individuelle, universelle (sans conditions de ressources) et inconditionnelle (sans exigence de contrepartie). Il connait depuis le contrecoup de la crise financière de 2008 l’une de ses plus importantes résurgences dans l’espace public. L’intensité du débat suscité et sa capacité à dépasser les clivages idéologiques traditionnels révèlent à la fois la profondeur et la complexité de ses enjeux. Il faut toutefois remarquer que depuis ses premières apparitions il y a environ deux siècles, les principales objections adressées au revenu de base inconditionnel (RBI) affichent une impressionnante permanence, gravitant autour de l’indignation morale et de l’incertitude économique liées à ses principes d’universalité et d’inconditionnalité. De fait, la progression récente de l’idée dans l’espace public semble davantage due aux avantages pratiques de ces principes, à la conquête de publics novices, et aux réponses qu’apporte le RBI aux mutations du marché du travail, qu’à une évolution dans l’appréhension de ces objections fondamentales. Comment expliquer cette invariance historique alors que depuis la fin des années quatre-vingt la recherche académique sur le sujet s’est considérablement développée puis organisée au niveau mondial, s’est enrichie d’expérimentations, de théorisations et de modélisations toujours plus sophistiquées et convaincantes pour rassurer les plus sceptiques de toute sensibilité politique ? C’est à cette question qu’aimerait apporter des éléments de réponse notre étude, avec l’intention initiale non pas de découvrir de nouveaux arguments-massue capables de faire avancer le débat public (dont regorge déjà la littérature), mais d’identifier les raisons de sa sclérose. Notre hypothèse de départ est que certaines de celles-ci se trouveraient au niveau des soubassements anthropologiques en présence : avec, du côté de l’opposition, une représentation de l’agent qui, en dépit de son pessimisme fataliste, s’enorgueillit d’un certain positivisme ; et du côté des promoteurs du RBI, un présupposé excessivement optimiste condamnant leur proposition au registre des utopies. Les résultats de notre recherche montrent que la réalité s’avère bien plus complexe que cette hypothèse, et débouchent finalement sur des conclusions engageants les plaidoyers courants à se lancer sur de nouvelles stratégies argumentaires, fondées sur une représentation de l’agent-citoyen plus cohérente et assumant pleinement sa normativité.
Le but de ce papier n’est donc pas de faire un nouvel état de l’art sur les questions éthiques et économiques suscitées par l’inconditionnalité du RBI, ni de se positionner parmi les courants de pensée qui ont tenté d’y répondre, mais simplement d’analyser les postulats sur lesquels reposent les principaux arguments et contre-arguments les concernant. Pour ce faire, cet article est premièrement inspiré par le débat public tel qu’il s’est présenté en France et en Suisse romande entre novembre 2015 et octobre 2016 du fait d’une succession d’événements politiques2, au premier rang desquels la votation suisse sur l’initiative populaire fédérale « revenu de base inconditionnel » en juin 2016. Autrement dit, les argumentaires analysés n’ont pas été choisis pour leur cohérence ou la profondeur des examens dont ils ont pu faire l’objet dans la littérature mais pour leur poids et leur prédominance dans les débats publics observés3. En outre, nous avons fait le choix de limiter notre étude aux versions parfois qualifiées d’« utopistes », d’« émancipatrices » ou de « radicales » de RBI, c’est-à-dire celles visant expressément la possibilité pour chacun de vivre dignement en dehors de l’emploi.
Après avoir fourni quelques éléments historiques et typologiques pour se repérer dans ce débat et y distinguer la singularité de ces RBI « radicaux » (partie 2), nous entamerons l’exploration des présupposés anthropologiques en présence au sein des principaux nœuds des discussions que sont : l’acceptabilité éthique de l’inconditionnalité (partie 3) et les gages de soutenabilité économique qu’elle appelle (partie 4). À partir de ces résultats, qui nous donneront à voir le triomphe de l’animal laborans annoncé par Hannah Arendt (1983, 398), nous conclurons sur les forts enjeux à faire de la défense du RBI l’occasion de l’émergence de postulats alternatifs, compatibles notamment avec les idéaux libéraux et républicains (partie 5).
1 – Le débat sur le revenu de base : repères historiques et typologiques et éléments clés
Le constat de départ partagé par les divers partisans du revenu de base est le suivant : les pays développés ont les moyens d’assurer à chacun de leurs citoyens une existence digne mais leurs politiques économiques et sociales s’avèrent inefficaces dans cette mission4. Young et Mulvale (2009, 17) identifient quatre critères permettant de distinguer les diverses propositions de revenu de base : « (1) Degree of universality of eligibility ; (2) Degree of conditionality of entitlement ; (3) Adequacy of benefit level ; and (4) Integration with other social programs » auxquels il serait possible d’ajouter (5) le modèle de financement5. Il est courant d’interpréter la diversité des modèles de RBI en opposant les versions dites « libérales » à des versions dites « solidaires » (Dacheux et Goujon 2012). Toute tentative de catégorisation des propositions de RBI selon cet axe apparait néanmoins souvent délicate voire impossible pour au moins deux raisons. Premièrement, hormis les rares propositions qui s’intègrent dans un projet politique global où les cinq paramètres ci-dessus sont bien définis, la plupart des propositions qui sont aujourd’hui avancées et débattues – comme le texte de l’initiative suisse soumis à votation populaire en juin 2016 – restent trop vagues sur les critères (3), (4) et (5) pour que puisse être identifié leur soubassement idéologique. Notons par exemple que le RBI ne porte en lui ni la nécessité de supprimer (ou d’instaurer) le salaire minimum ni celle de privatiser les services publics, ni celle d’assouplir les conditions de naturalisation. Ces sujets et bien d’autres, bien qu’étant connexes aux questionnements sur la mise en œuvre d’un RBI, ne lui sont pas inhérents. Deuxièmement, l’idée dépasse les clivages traditionnels. Comme le signale Philippe Van Parijs (dans Mylondo et Cottin-Marx 2013, 166) au sein des tendances dites libérales s’opposeront par exemple les défenseurs d’une liberté strictement formelle et les défenseurs d’une liberté réelle alors qu’au sein des tendances socialistes les divergences pourront porter sur la « valeur travail »6 et la remise en cause des rapports de force capitalistes. À l’inverse, libéraux et socialistes pourront s’entendre sur son aspect simplificateur et sa capacité à réduire considérablement la grande pauvreté. Pour comprendre la variété des modèles de RBI et le particularisme des versions « radicales » sur lesquelles notre recherche se focalise, nous proposons dans la suite de cette partie de remonter aux origines des principes d’universalité et d’inconditionnalité où déjà s’observent des justifications bien distinctes, avant de proposer une classification des RBI basée sur la détermination du montant de l’allocation.
Comme en témoigne l’Utopia de Thomas More (1516), les premières mentions d’un besoin d’organiser collectivement une aide, en nature ou en argent, à destination des plus défavorisés remontent au xvie siècle. Qu’elle soit sous-tendue par des préoccupations éthico-religieuses ou pragmatiques, l’idée consiste à porter la charité individuelle au niveau de la communauté pour éviter que les pauvres ne sombrent dans la misère et la criminalité. Pour ne pas encourager l’oisiveté, les premiers systèmes d’assistance sont bien sûr couplés, pour les bénéficiaires valides, à l’obligation de travailler. Ce n’est que plus tard que des penseurs tels que Thomas Paine (1797) ou Joseph Charlier (1848) soutiendront la distribution d’un revenu (sous forme de rente pour Charlier et d’un capital pour Paine), non plus pour des raisons caritatives, mais comme un droit universel dérivant du droit naturel de chacun de jouir sans conditions des ressources providentielles (Vanderborght et Van Parijs 2005, 14). À noter pour la suite de notre réflexion, qu’au xviiie siècle, des révolutionnaires comme Paine défendent aussi l’autonomie matérielle prodiguée par ce revenu comme « condition de possibilité de l’exercice de la citoyenneté et de l’inscription de tout individu dans la cité » (Bourdeau 2013, 9). Concomitamment au renforcement des justifications de l’universalité, s’affirme dès Charlier les mérites de l’inconditionnalité comme vecteur d’égalisation du rapport de force entre travailleurs et détenteurs des moyens de production (Van Parijs et Vanderborght 2017, 75). Depuis lors, ces deux approches fondamentales – la première visant à l’éradication de la pauvreté et la seconde déontologiquement animée par un souci de justice –, sont restées au cœur du débat sur l’universalité revenu. Le gaspillage apparent que serait l’attribution d’une rente même aux plus aisés a valu à la première approche de s’imposer aux dépens du principe d’universalité. C’est ainsi que furent peu à peu institutionnalisés dans les pays développés des mécanismes de protection sociale palliant des situations spécifiques (vieillesse, maladie, handicap, chômage, pauvreté, etc.) tout en essayant de maintenir une incitation à travailler dès que possible. Depuis la fin du xxe siècle, le principe d’universalité, qui avait ressuscité à diverses reprises dans l’esprit de quelques penseurs depuis Paine, est de mieux en mieux accepté grâce à son aspect « simplificateur » très séduisant dans un contexte de « submersion bureaucratique », à sa prétention à supprimer les effets de seuil ou « trappes à l’inactivité » et le non-recours des minimas sociaux traditionnels, et à son côté non stigmatisant qui rend superflu tout « flicage social ».
Parmi la variété de propositions de RBI défendues en ce début de xxie siècle, nous pensons que la manière dont chacune aborde le montant du RBI est révélatrice de leurs finalités premières. Précisons que nous ne nous arrêtons pas aux montants finaux qui, par hasard et en raison d’autres variables telles que les prestations sociales maintenues par ailleurs, peuvent coïncider entre les différentes approches, mais bien sur le raisonnement associé à leur détermination. Cette classification, où transparaissent encore les deux approches historiques que nous venons de voir, nous permet surtout de mettre en évidence la particularité des RBI « radicaux » sur lesquels se concentre notre analyse.
Considérons premièrement les versions privilégiant le modèle de financement, que ce soit sur une base symbolique ou comptable. Dans la lignée de Paine et Charlier, et à l’instar du Permanent Fund Dividend mis en œuvre en Alaska depuis 19827, cette approche part de l’identification d’une richesse à partager. Ici le revenu de base n’est autre que la part due à chacun de la rente issue d’un « capital social collectif » (Bresson 2008). S’inscrivent dans cette approche la plupart des défenses libertariennes du RBI mais aussi la fameuse justification real-libertarienne de Van Parijs (1991, 1995) pour qui le montant n’a rien à voir avec la notion de besoins primaires8 mais devrait être « at the highest sustainable level », c’est-à-dire à un niveau compatible avec sa viabilité économique et son acceptabilité politique. Dans un souci de justice distributive, ce « highest sustainable level » doit correspondre, selon Van Parijs, à une répartition de ce que les individus reçoivent « en cadeau » au cours de leur existence (comme par exemple les rentes liées à l’occupation d’un emploi), compatible avec des taux marginaux d’imposition sur le revenu jugés « soutenables ». Cette première façon d’appréhender le RBI est par ailleurs particulièrement saillante dans l’appellation parfois donnée de « dividende social » (Meade 1993) qui suppose l’existence d’un produit social à partager entre tous.
Dans le deuxième cas de figure nous retrouvons les arguments, principalement conséquentialistes, combinant l’objectif de réduction de la pauvreté à une logique workfariste « d’activation des individus ». Pour maintenir l’incitation à chercher un emploi, cette catégorie veut le montant du revenu « insuffisant » pour vivre dignement sans revenus complémentaires. L’exemple le plus éminent de cette approche est l’impôt négatif proposé par Milton Friedman (1962). Les principes d’universalité et d’inconditionnalité du revenu de base sont davantage appréciés ici pour leur aspect pragmatique que philosophique. Dans le débat actuel, la proposition de Liber portée par Basquiat et Koenig (2015), combinant un revenu de base et un impôt sur le revenu à taux unique, est communément présentée comme héritière de Friedman. Nous pensons néanmoins que, selon nos critères de classification, même si cette dernière se présente comme un système socio-fiscal comparable à l’impôt négatif friedmannien, elle trouverait davantage sa place dans la première catégorie que dans cette seconde du fait de son argument premier à simplifier le système actuel à budget quasi-constant et sans excessivement imposer les revenus du travail (préoccupation commune avec Van Parijs). Dès lors, dans l’éventualité (très peu probable) où l’état des finances publiques permettrait de satisfaire ces trois objectifs tout en donnant lieu à un montant de RBI outrepassant largement le seuil de pauvreté, rien n’indique que les concepteurs du Liber décideraient de le plafonner.
Enfin viennent les versions parfois qualifiées de « radicales », d’« émancipatrices » ou en anglais de « full basic incomes », qui visent expressément un découplage partiel entre emploi et revenus. Elles insistent sur la nécessité à ce que l’allocation monétaire et le système de prestations sociales (en espèces ou en nature) dans lequel elle s’inscrit, soient « suffisants » pour mener une vie digne – quoique modeste – en dehors de toute autre source de revenus9. La motivation centrale d’un tel découplage, au-delà de l’éradication de la pauvreté et de l’adaptation aux mutations du marché de l’emploi, est l’émancipation de l’individu vis-à-vis du marché pour – comme stipulé sur certaines brochures du comité de campagne l’initiative populaire fédérale suisse – « remettre l’économie au service de l’humain ».
Cette typologie présente aussi un intérêt pratique en ce qu’elle permet de lever de nombreux malentendus qui s’observent entre les tenants de ces différentes catégories. Ainsi, en mai 2016, lors d’un passage à Genève, Van Parijs – évidemment en faveur de l’initiative populaire – signale à la presse au sujet du montant donné pour exemple par le comité : « 2500, c’est excessif ! […] Le but n’est pas de fournir un hamac pour toute la vie » (Vormus 2016). Ces mots, largement repris, ont provoqué incompréhension et déception chez les promoteurs helvètes : comment défendre le RBI au nom de la liberté, c’est-à-dire de la possibilité de choisir sa vie même en dehors de l’emploi, avec un revenu « insuffisant » ? Ils se rendirent alors compte que ce n’est qu’au moment d’aborder le montant (au sens large) que différentes priorités entre partisans, qui partagent par ailleurs tant d’arguments et de valeurs, finissent par se distinguer.
Les principales objections à l’encontre des versions « émancipatrices » du RBI, tant dans les débats académiques que populaires, de tendances socialistes ou libérales, entremêlent des préoccupations économiques (« Qui paiera ?10 Qui fera les tâches ingrates ? ») et des considérations morales liées soit à un souci de justice (« Il faut gagner son pain à la sueur de son front ! ») soit à la représentation du travail comme principal vecteur d’intégration sociale et de réalisation de soi11. L’articulation parfois confuse de ces objections recouvre une variété d’inquiétudes s’appuyant sur deux représentations particulières de l’agent économique qui ne sont pas sans rappeler les personnages imaginés par Van Parijs (1991, 105) dans son Crazy-Lazy challenge. Lazy et Crazy sont deux individus dotés des mêmes capacités mais ayant des préférences distinctes : « Crazy is keen to earn a high income and works a lot for that purpose. Lazy is far less excited by the prospect of a high income and had decided to take it easy ». En mettant de côté toutes les considérations rattachées par Van Parijs à ces personnages pour sa défense du RBI au nom de la liberté réelle, nous nous contentons de retenir que Crazy, à la différence de Lazy, veut occuper un emploi pour quelque raison que ce soit (financière ou autres). Nous retrouvons ici le cœur de la question qui finit par dominer les débats sur le RBI, à savoir, l’arbitrage travail-loisir de l’agent économique. Deux scenarios du pire permettent de synthétiser ces objections :
- Selon le scenario-Lazy, il faudrait craindre que l’introduction du RBI entraine, à cause de la sortie effective ou potentielle d’une masse critique de travailleurs du système productif, une baisse de la production et de la compétitivité (voire une paralysie de l’économie) qui se traduirait par de l’inflation et une pression fiscale accrues, et donc in fine par l’effondrement du système.
- Dans le scenario-Crazy – principalement porté par une gauche revendicatrice d’un partage du temps de travail – le RBI est perçu comme une « rente d’exclusion » ou un « lot de consolation » qui, en normalisant l’exclusion du marché de l’emploi rendrait vaine toute politique de lutte contre le chômage et exaspèrerait la ségrégation des individus les plus vulnérables.
Ces deux scénarios sont inévitablement doublés d’une fracture sociale chargée de ressentiment entre insiders, intégrés dans le système de production et donc potentiellement capables d’en contrôler les ressorts, et les outsiders, volontairement ou involontairement à la marge du marché de l’emploi. Si dans le scenario-Crazy les outsiders sont vus comme des victimes, dans le scenario-Lazy, ces derniers s’étant délibérément retirés du marché apparaissent non seulement comme les coupables de la catastrophe économique mais aussi comme exploitants immoraux du travail des insiders. Nous nous focalisons dans la partie qui suit sur les présupposés en présence dans le traitement du scenario-Lazy qui domine le débat sur le RBI et apparait pour beaucoup comme le principal obstacle à l’acceptation politique de la proposition. Nous commencerons par l’aborder sous l’angle éthique, souvent désigné sous le nom de reciprocity ou exploitation objection (White 1997), avant de nous pencher sur son versant économique.
2 – La chasse aux resquilleurs dans le débat éthique (objection de réciprocité)
Afin d’exhumer l’objection fondamentale de ce scenario-catastrophe, nous pourrions dans un premier temps le débarrasser de ses préoccupations économiques (efficacité et financement) en nous plaçant dans un cadre simplifié où les gains de productivité des divers facteurs de production compenseraient les pertes provoquées par le départ des Lazy et financeraient en grande partie leur RBI. Nous découvririons alors que, même ainsi, demeure la situation d’injustice que Serge-Christophe Kolm (2007, 79 cité par Gamel 2015, 375) résume en ces termes :
Les gens qui choisissent de travailler très peu s’abstiennent de participer au système de coopération productive de la société et de division du travail, dont il s’agit de partager le produit. Comme l’écrit Rawls (1982), dont la compréhension de l’éthique sociale est une fois de plus éclairante, ces individus ne sont pas des « membres de la société coopérant pleinement, engagés dans la coopération sociale pour une vie entière, pour un avantage mutuel », et sujets pour cette raison à la règle de la distribution globale.
Au-delà de la vision binaire des activités humaines divisées entre travail et loisirs qu’impose le « Crazy-Lazy challenge » – sur laquelle nous reviendrons – il est possible de voir dans ces objections la représentation de l’agent qui est au fondement de la théorie du choix rationnel et plus précisément de la zero contribution thesis d’Olson (1965), à savoir : un individu non-enclin à agir en faveur du bien commun ou d’un intérêt collectif élargi à moins d’être soumis à des incitations externes positives ou négatives. Qu’il prenne la forme d’un surfeur de Malibu passant ses journées à la plage12 ou d’un obèse avachi sur son canapé (voir image 1), la représentation de l’agent mise en avant dans l’argumentaire anti-RBI est celle du passager clandestin, guidé par son égoïsme ou sa paresse constitutifs ou tout au moins insoucieux de sa participation au « système de coopération productive ». Il est tout à fait logique que partant de ce postulat pessimiste le RBI soit perçu comme une mesure paternaliste et déresponsabilisante dans la mesure où une masse critique d’individus profiteraient de la suppression de l’incitation à travailler – que représente la nécessité de satisfaire ses besoins de base – pour cesser de participer à l’effort productif commun.
Image 1 – Affiche de campagne du Comité romand d’opposition au RBI dans le cadre de la votation Suisse du 5 juin 2016
(© Comité RBI-NON)
Pour révéler la solidité de ce présupposé anthropologique dans le débat sur le RBI, il est possible de remarquer sa persistance jusque dans un scénario décroissant. Pour des raisons écologiques et/ou constatant les transformations du marché du travail liées aux progrès techniques, nombreux promoteurs du RBI reprochent à l’objection de réciprocité de circonscrire le « système de coopération productive » à la création de valeur économique évaluée et donc légitimée par le marché ou par l’État. Or jusque dans un cadre prospectif où l’objectif de « croissance créatrice d’emplois » ne serait plus la priorité, car jugée impossible et/ou non désirable13, il est rétorquable que tant que le monde ne sera pas « parfait » et capable de s’auto-entretenir dans cet état optimal, il y aura du travail vacant (le travail étant alors compris au sens large d’activité productrice d’utilité sociale), et donc une injustice à ce que certains soient « payés à ne rien faire ». Mais alors que l’objectif de croissance du PIB serait supplanté par des indices plus complexes car composites, multidimensionnels et valorisant une richesse difficilement monétisable, il faudrait trouver un système de production et d’allocation des ressources complémentaire aux mécanismes du marché permettant la validation des activités productrices de cette valeur non économique à forte utilité sociale. Plus libéraux – au sens tant politique qu’économique – que les mécanismes d’emploi-garanti, des revenus de base à conditionnalité élargie pourraient alors être proposés. Le plus connu d’entre eux est certainement le Participation income élaboré par Atkinson (1996, 68-9), qu’il présente lui-même en ces termes :
In my proposal, the basic income would be paid conditional on participation. I should stress at once that this is not limited to labour market participation. While the qualifying conditions would include people working as an employee or self-employed, absent from work on grounds of sickness or injury, unable to work on grounds of disability and unemployed but available for work, it would also include people engaging in approved forms of education or training, caring for young, elderly or disabled dependents or undertaking approved forms of voluntary work, etc. The condition involves neither payment nor work ; it is a wider definition of social contribution.
Ces systèmes de revenu de base à « conditionnalité faible », tout en répondant à de nombreux enjeux auxquels cherche à remédier le RBI, seraient plus acceptables pour beaucoup d’opposants au RBI dans la mesure où seuls les individus ayant prouvé leur participation à la coopération sociale élargie percevraient le revenu de base évitant ainsi l’injustice associée au free-riding.
En plus des problèmes pratiques inhérents à la conditionnalité (coûts et lourdeurs administratifs, superfluité des critères, risques de fraude, etc.), nombreux promoteurs du RBI vont justifier l’inviolabilité du principe d’inconditionnalité par un rejet de la figure du passager clandestin désinvolte et irresponsable. Pour invalider cette représentation, ils emploieront un ensemble d’arguments, souvent entremêlés, que nous proposons d’organiser ici autour des trois intitulés suivants 1) le travail paie toujours, 2) la contribution de tous et 3) la théorie de l’autodétermination.
L’assertion selon laquelle, avec un RBI, « le travail paie toujours » est un leitmotiv quasi-incontournable des plaidoyers pro-RBI. Elle rejette la crainte du passager clandestin, et plus généralement le scenario-Lazy, en louant les mérites du principe d’universalité à maintenir l’incitation au travail par une réduction des coûts d’opportunités associés à la reprise d’emploi. Selon cette approche, ce sont les taux d’impositions marginaux implicites des aides conditionnées au revenu qui, en créant des effets de seuils désincitatifs, pousseraient les Crazy à se comporter en Lazy. En précisant bien que le montant du RBI ne permet que de vivre modestement, ce contre-argumentaire défend que ce n’est qu’une fois délivrés de ces trappes à l’inactivité que les agents pourront s’abandonner aux incitations générées par les mécanismes du marché.
Les partisans de la thèse de la contribution de tous, quant à eux, remettent en cause l’idée même de free-riding au nom de l’utilité sociale de tous dans les limites de la loi (Mylondo 2010). Leur défense du RBI s’appuie alors sur une approche systémique et extensive de l’utilité et de la contribution sociales ainsi que sur une très grande tolérance face aux diverses conceptions de la vie bonne. Nul individu ne peut être vu comme entièrement passif et isolé du monde, et la production ne peut être appréciée qu’au niveau collectif, à l’échelle sociétale. Par sa simple existence sociale – ne serait-ce que par ses choix de consommation ou sa navigation sur internet (Monnier et Vercellone 2016) –, n’importe quel individu génère des externalités valorisables socialement et parfois même économiquement. Partant de là, le RBI serait « la contrepartie d’une contribution à la productivité sociale invisible et qui échappe à toute mesure » (Corsani 2015, 16) et les surfeurs de Malibu y auraient alors droit « au titre de la participation de tous à la création de richesse sociale » (Mylondo 2010, 7). En effet, comment évaluer l’impact de ces surfeurs sur l’attractivité territoriale ou sur l’industrie du surf ? Ou encore l’impact de la bonne humeur et de la bonne santé physique que leur procure leur mode de vie sur leur entourage ou même sur les dépenses publiques ? Cette réflexion va de pair avec deux considérations. Premièrement elle dénonce l’incapacité du marché et de l’État à internaliser les externalités positives et négatives, et donc, in fine, à refléter la richesse sociale des diverses activités humaines. Deuxièmement, en mettant en lumière un free-riding généralisé14, elle pousse à la reconnaissance d’une interdépendance résumée par Liebermann (2012, 95) en ces termes : « In a community every individual lives “at the cost of others”, because each and every person depends on the contribution of others […] basic income would make this transparent ».
La troisième manière de désapprouver la représentation du passager clandestin est de lui opposer la représentation d’un agent capable de s’activer (et donc de contribuer à la coopération sociale) par lui-même, sans nul besoin d’incitations sélectives (punitions ou récompenses). Cette voie argumentative mettra en exergue les activités dites « autonomes15 », « qui valent pour elles-mêmes comme leur propre fin » (Gorz 1997, 144), et prioritairement celles hors-emploi réputées utiles voire indispensables au fonctionnement de la société tel que le travail domestique, le bénévolat organisé, l’économie collaborative non monétarisée, l’artisanat récréatif, ou simplement l’entraide. Nombreux partisans du RBI prédisent que certaines de ces activités sont les signaux faibles du développement et de la diversification considérables des activités hors-emploi et hors sphère domestique qui adviendraient avec un RBI (Jordan 1989). Ainsi, des initiatives d’un intérêt social majeur comme l’ONG internationale Surfrider Foundation 16, fondée précisément par un groupe de surfeurs de Malibu dans les années quatre-vingt, ne décupleraient-elles pas si chacun était libre de passer ses journées à surfer (voir image 2) ? Ces activités, parce qu’elles sont portées par des motivations essentiellement intrinsèques ou tout simplement parce qu’elles ne sont pas rentables (du fait d’une demande non solvable), sont très difficilement mises en œuvre et soutenables dans les conditions actuelles (a fortiori par les agents les plus désavantagés). Grâce au RBI, elles pourraient finir par constituer ce que Ferry (1995) appelle un « secteur quaternaire »17, secteur à part entière, suffisamment imposant pour structurer l’existence des individus et la société dans son ensemble (Sue 1995). Selon cette approche, il est aussi possible de s’opposer aux systèmes conditionnels comme le revenu de participation atkinsonnien au nom des effets négatifs des incitations sélectives sur les motivations intrinsèques – effets dits « de surjustification » d’ailleurs attestés par de nombreuses expériences psychosociales18. À cet égard, Gorz (1998, 35) soutiendra que « la conditionnalité transforme le revenu de base en salaire, le bénévolat en quasi-emploi » (cité par Gollain 2015, 55) et que « seule son inconditionnalité pourra préserver l’inconditionnalité des activités qui n’ont tout leur sens que si elles sont accomplies pour elles-mêmes » (Gorz 1997, 143-4). Ainsi, selon cette troisième manière de rejeter l’agent resquilleur, le RBI permettrait à chacun de choisir sa contribution à la société en fonction de ses aspirations, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’emploi ou dans un tiers secteur aux frontières évolutives.
3 – Le triomphe fondé de l’animal laborans dans le débat économique
Nous avons vu jusqu’ici que pour contrer l’objection de réciprocité associée au scenario-Lazy, certains promoteurs du RBI vont rejeter la zero contribution thesis en nuançant de diverses manières la vraisemblance de Lazy. Nous soulevons maintenant les incohérences des discours pro-RBI qui surgissent au moment fatidique des débats où se pose la question de la viabilité économique du RBI.
Parmi les lignes argumentaires que nous avons évoquées, « le travail paie toujours » est celle qui, parce qu’elle repose sur une microfondation stable, est a priori la plus cohérente. S’appuyant clairement sur le présupposé Crazy, cette dernière permet de contourner à la fois le risque de resquillage et celui de chaos macroéconomique associé à Lazy. Néanmoins, dans cette hypothèse où une masse critique d’individus auraient une préférence pour l’emploi, et parce qu’il n’est pas prouvé que le RBI apporte quelque solution au problème du chômage, elle n’échappe pas à la difficulté de répondre à la question posée par le scénario-Crazy, à savoir : à quoi bon détourner les efforts et les fonds publics de la lutte directe contre le chômage si les aspirations sociétales se fondent sur un postulat anthropologique faisant de l’emploi une condition à la vie digne ? L’ambigüité de cette position se confirme d’ailleurs dans le soutien simultané de ses adhérents aux politiques traditionnelles de lutte contre le chômage, qu’elles s’inscrivent dans des politiques de soutien actif à la croissance, de flexibilisation ou de sécurisation du marché du travail ou encore de partage du temps de travail. Même s’il n’est pas prouvé non plus qu’un RBI radical aggraverait l’exclusion sociale liée au chômage involontaire par rapport à la situation actuelle, la crainte des opposants qu’il se traduise en un « salaire de l’inactivité forcée » ne servant, in fine, qu’à rendre supportable la situation d’exclusion socioéconomique des Crazy, apparaît comme toute légitime en réaction au paradoxe régnant au cœur de cette ligne argumentaire.
Du côté des réponses à l’objection de réciprocité reposant sur le postulat de la contribution de tous ou celui de l’autodétermination, les incohérences se situent au niveau de l’inconstance de leur soubassement anthropologique. Car si leur rejet du resquillage, qui nuançait le personnage de Lazy au nom d’une possible création de valeur dans la sphère hors emploi, apporte des éléments de légitimation aux principes d’inconditionnalité et d’universalité, ce dernier ne suffit ostensiblement pas à expliquer comment la libre contribution de tous à la production de richesse, pouvant dès lors échapper aux systèmes de validation marchand et étatique (Harribey 2016), permettra de satisfaire la demande, tant sur le plan qualitatif que quantitatif, dans une conjoncture donnée. Dit plus trivialement, comment s’assurer que nous aurions de quoi manger si tout le monde se mettait à surfer à longueur de journée ?
Avant d’exposer les autres manières dont les pro-RBI vont répondre à cette question, il est important de noter que les plaidoyers en faveur d’un RBI radical partent souvent du principe que la baisse du volume de temps de travail n’est pas un problème en soi mais bien plutôt un objectif (Mylondo 2010), que ce soit au nom de la libération de l’individu (grâce à l’allègement du « travail pénible » rendu possible par l’automatisation, l’optimisation ou le partage du temps de travail) et/ou du passage à une société post-productiviste réduisant considérablement sa consommation (et donc les externalités négatives sociales et environnementales liées à la surproduction et à la surconsommation). Aussi, comme nous l’avons déjà mentionné, les impératifs associés au RBI en termes de justice sociale et de libertés individuelles apparaissent pour beaucoup comme des justifications catégoriques suffisantes pour l’instauration d’un RBI (de la même manière qu’ils pouvaient l’être au moment de l’instauration du suffrage universel ou de l’abolition de l’esclavage). Le fait est, cependant, qu’au moment de répondre à la question de la soutenabilité économique, beaucoup chercheront à rassurer leurs interlocuteurs en leur apportant des garanties du maintien des agents dans l’économie formelle. Garanties reposant moins sur leur capacité à s’activer conformément au bien commun que sur leur sensibilité aux incitations extrinsèques.
Parmi ces garanties19 se trouvent premièrement la tentative de concilier la valorisation des activités autonomes avec le maintien de l’individu dans l’emploi. Cette posture est paradoxale au sens où la sphère hors-emploi qui était jusqu’ici présentée comme au moins d’égale importance que la sphère hétéronome – dans la mesure où l’agent pouvait s’y épanouir et s’y rendre utile –, se retrouve soudainement renvoyée au rang de sphère secondaire. Le personnage de Lazy est finalement nié (comme dans la défense fondée sur l’argument « le travail paie toujours ») avec le retour d’un agent économique ne pouvant – ou ne voulant – se satisfaire du RBI que ce soit pour des raisons financières ou psychosociales (à cause de la difficulté à obtenir reconnaissance et estime de soi dans la sphère autonome). Cette posture sera systématiquement étayée par les résultats d’une panoplie de sondages et d’expérimentations menées à travers le monde prouvant que même avec un RBI, l’agent ne se retire pas du marché du travail. C’est ainsi que Mylondo (2010), bien que reconnaissant les « nombreux biais méthodologiques » de ces expérimentations, ne manquera pas de relever leurs « conclusions […] plutôt rassurantes » et leurs « résultats assez positifs », quant au maintien des individus dans les systèmes formels de production. Lors de la campagne suisse de 2016, ce fut le résultat d’un sondage mené par l’institut DemoSCOPE selon lequel seuls « 2 % de la population arrêterait de travailler »20 qui fut largement mis à l’honneur.
Une seconde manière pour les pro-RBI de prémunir leur utopie du risque de chaos socio-économique est de mettre en avant des mécanismes qui permettraient de contrecarrer la préférence de Lazy pour le hors-emploi. Il ne s’agit plus ici de nier Lazy mais de chercher à le « convertir » en Crazy. Déjà, dans le cas d’un ralentissement de la production, les mécanismes du marché, via la chute de la valeur réelle du RBI ou d’une pression fiscale accrue, pousseraient nécessairement les agents à réintégrer le marché du travail formel pour subvenir à leurs besoins. Dans une même logique de contrainte, la pression sociale associée au devoir de chacun de « faire sa part » dans l’économie formelle ou la mise en place d’un service civil obligatoire assimilable à la corvée du xviiie siècle (Bendahan 2016), quoique peu affirmées dans les débats, pourraient avoir le même effet.
Enfin, dans une même logique visant à réduire la désutilité du travail, mais cette fois-ci par des incitations positives, règnent dans des discours pro-RBI tous les procédés permettant d’accroitre l’attractivité de l’emploi, tels que la revalorisation salariale et/ou l’amélioration des conditions de travail, notamment par la réduction du temps de travail. Le RBI est à ce titre souvent présenté comme « une technique souple de partage du temps de travail » (Vanderborght et Van Parijs 2005, 61). Le Comité d’initiative suisse (2016, 11), quant à lui, précisait qu’un « salaire suffisant devra être offert pour motiver une personne disposant du RBI à s’engager » (nos italiques)21. De même, tout subterfuge visant à susciter des « affects joyeux » chez les travailleurs (cf. Hambye et al. 2013 ; Lordon 2010) peut trouver sa place dans cette ligne argumentaire, comme en témoigne l’extrait suivant de Le Fou du Palais Royal (Cantagrel 1841, 354-5) où, au xixe siècle déjà, le phalanstérien Monsieur X répondait aux inquiétudes économiques de l’agriculteur à la manière de nombreux de nos contemporains :
L’AGRICULTEUR. — Mais, Monsieur, je vous le demande, quel individu lorsqu’il pourra choisir ses occupations, voudra passer toute un jour à suer sang et eau pour tracer un misérable sillon ?
X. — Eh ! qui vous parler d’individu seul ? qui vous parle de journée entière ? qui vous parle de suer sang et eau ? […] Non, monsieur, ce ne sera pas, ce ne sera jamais un individu isolé, mais bien un groupe, une escouade, un bataillon d’individus qui laboureront par courtes séances, au son des fanfares ; oui, au son des fanfares… Qu’avez-vous à rire ? Cela vous étonne, que l’on emploie la musique à soutenir l’ardeur, le courage des laboureurs ?
Qu’il s’agisse de Crazy et de sa préférence marquée pour la sphère hétéronome, ou de Lazy qui, en dépit de sa préférence initiale pour le hors-emploi, doit être contraint par la nécessité ou censé succomber à diverses incitations positives pour s’activer, nous nous trouvons face à deux présupposés ayant pour point commun leur incapacité à poursuivre une conception de la vie bonne compatible avec l’intérêt général hors des circuits de production générés par le marché, le décideur public, ou tout simplement les injonctions sociales. Ce présupposé, qui s’apparente aux premières représentations de l’agent dans la théorie économique, ne peut toutefois pas être assimilé aux modèles toujours plus sophistiqués d’homo œconomicus développés depuis les années soixante-dix22. Nous y retrouvons davantage, notamment pour les enjeux multidisciplinaires que nous lui associeront, la représentation de l’animal laborans dépeinte par Arendt (1983) dans ses travaux sur la condition de l’homme moderne. Dans ses analyses des composantes de la vita activa, Arendt remarque qu’à la différence de l’homo faber qui s’adonne à l’œuvre (la fabrication de la part artificielle du monde commun constituée d’objets qui nous survivront), et de l’homo politicus qui s’adonne à l’action (politique) dans la sphère publique, l’existence de animal laborans est cantonnée à la sphère privée (économique et domestique), absorbée par la nécessité : la reproduction de l’espèce, le travail et la consommation23. Nous voyons dans l’animal laborans un agent incapable de définir par lui-même « son rôle » vis-à-vis de l’ordre social. Pour satisfaire ses besoins de reconnaissance, d’estime et de se sentir utile, il se conformera davantage à ce que la société exige de lui qu’à ce qui pourrait lui faire sens. Lazy et Crazy, à l’instar de l’animal laborans, sont foncièrement inaptes à la liberté, voire indignes de celle-ci, en ce que la leur accorder mettrait en péril non seulement leur propre épanouissement mais aussi l’ordre social (aspect développé partie 5). Pour Arendt, en effet, la liberté est synonyme d’agir politique compris comme l’exercice de la capacité suprême de l’homme à « initier », c’est-à-dire à commencer quelque chose d’unique et d’inattendu dans le monde. Or pour l’animal laborans, réduit à un élément interchangeable de son espèce, inféodé à sa participation à la production nécessaire à la vie et bon uniquement à obéir 24 aux incitations économiques ou sociales, cette liberté n’a plus lieu être tant elle est dénuée de sens.
Nous voyons alors que le plaidoyer courant en faveur du RBI radical qui, nous le rappelons, prône la liberté de l’individu de « choisir »25 sa vie et présente le RBI comme une opportunité pour « remettre l’économie au service de l’humain »26 – et réaffirme généralement haut et fort cette liberté au moment de rejeter l’objection de réciprocité liée au risque de resquillage –, peine à persévérer sur une ligne argumentaire cohérente au moment d’apporter des garanties quant à la soutenabilité économique de sa proposition. Faute de pouvoir assurer que les contributions volontaires spontanées (qu’elles se manifestent dans la sphère hétéronome ou en dehors) puissent aboutir à un optimum social, il faudrait se résoudre à les canaliser dans une logique instrumentale autour des incitations générées via l’emploi par le marché et/ou le décideur public. Ainsi, dans l’espace du débat sur le RBI radical, où s’affirment parmi les plus fortes utopies et revendications en matière de liberté individuelle et d’autonomie s’observe finalement le triomphe de l’animal laborans annoncé par Hannah Arendt.
Remarquons pour finir que les objections des opposants au RBI, tout comme le recours in extremis des pro-RBI à la représentation de l’animal laborans, ne sont pas sans fondement. Au contraire. La manière dont les traits caractéristiques de l’animal laborans ressortent de nombreuses observations et analyses en sciences sociales, et tout particulièrement en science politique, pourrait justifier le recours à ce présupposé et ce faisant, donner bien des raisons de s’opposer au RBI.
Le premier aspect de l’animal laborans qui s’observe dans notre contemporanéité est le trait caractéristique de Crazy, à savoir son incapacité à doter de sens son existence en dehors de l’emploi. Déjà implicitement présent dans les nombreuses études dans le champ de l’économie du bonheur qui montrent que la perte de revenu est loin de suffire à expliquer la peine provoquée par le chômage (Frey et Stutzer 2002), ce trait apparait explicitement dans un rapport gouvernemental français de 1983 sur le temps choisi où figure parmi les obstacles à l’instauration d’une politique du temps choisi chez les salariés « la peur, plus ou moins consciente, du temps libre » (Ravel 1983, 30). Cette peur a aussi pu être observée lors des débats préréférendaires sur le RBI en Suisse en mai 2015, où certains citoyens nous confiaient leur angoisse face à une liberté qu’ils ne sauraient gérer. Ces témoignages peuvent être rapprochés à la situation de « stress oisif » présentée par Maiatsky (2015, 72) en ces termes :
Si l’on parle des toujours nouvelles et changeantes pathologies liées au travail, ne peut-on pas prévoir l’apparition de certaines pathologies conditionnées par cette liberté qui nous affranchirait de tout type de contraintes ? Le stress oisif moderne, propre aux week-ends et à l’obligation d’en jouir, de profiter au mieux de sa liberté hebdomadaire, risque de paraître un ridicule jeu d’enfants comparé aux nouvelles frustrations que recèle, peut-être, le RBI de demain. Certains théoriciens évoquent, à son propos « le droit au Bonheur », en oubliant que le RBI sera considéré par certains non comme un droit, mais comme une garantie ; du coup, quiconque ne saura jouir avec un RBI en poche aura le droit de se considérer véritablement comme nul.
Livré à lui-même, à défaut de repères que lui ont longtemps pourvus la religion et les mœurs, Crazy chercherait désespérément des injonctions pour guider son existence. Dès lors, l’assujettissement aux incitations du marché (associées à la nécessité de produire, de se réaliser dans l’emploi et de consommer), soutenues par un ensemble de normes sociales telles que l’éthique de la valeur travail-emploi, pallierait cette angoisse existentielle. Une société de Crazy où chacun se rattache aux incitations extrinsèques à disposition dans son environnement conduit inévitablement à l’uniformisation d’une société de masse moutonnière, telle que dépeinte par Arendt (1983) et là encore conforme à certaines tendances observables dans les sociétés mondialisées contemporaines.
Le deuxième aspect de l’animal laborans dont il est possible de vérifier l’existence est celui associé à Lazy, à savoir son incapacité – que ce soit par ignorance, insouciance, ressentiment ou autres – à poursuivre un plan de vie compatible avec l’intérêt général. Cette caractéristique trouve par exemple corroboration dans le champs de la science politique où le déficit de participation civique dans les sociétés occidentales et la colonisation de leur sphère publique par la rationalité instrumentale serait au cœur d’une « crise de la citoyenneté »27 compromettant la pérennité même de leur système démocratique (Habermas 1987 ; Mouffe 1992 ; Norris 2011). Une part remarquable de citoyens, insoucieux de leur responsabilité vis-à-vis du fonctionnement de la cité, et en l’absence de toute obligation/récompense qui les inciteraient à l’être, se comporteraient tels des passagers clandestins, laissant à ceux qui ont intérêt à le faire le soin de se soucier de la chose publique. Un tel constat donne de prime abord raison aux anti-RBI dans la mesure où, comme en fournit des indices l’espace politique des démocraties occidentales, sans incitations socioéconomiques externes, une masse critique d’agents risqueraient de se désengager de l’effort productif nécessaire à l’intérêt général, ou à en avoir un usage instrumental égoïste, menant aux scenarios-catastrophe précédemment dépeints. Il y aurait alors a priori davantage de raisons de perpétuer le paradigme du compromis social du capitalisme par des politiques actives de soutien à la croissance économique ou à l’emploi plutôt que de donner à chacun les moyens de « choisir sa vie ». Pourtant, et même au-delà des nombreux contre-exemples à ce constat, tels que les comportements philanthropes mis en avant par les pro-RBI lorsqu’ils défendent les activités autonomes (partie 3), nous considérons comme Larrère (2014, 9) que
La question n’est pas de savoir ce qui est vrai et ce qui est faux. Nous savons bien que tous les hommes ne sont pas des « idiots rationnels » […] des individus égoïstes et purement calculateurs. Il y a des altruistes, des généreux, des gens qui calculent mal ; tous les individus ne sont pas indépendants les uns des autres, il y a des liens de fidélité. Mais la question n’est pas celle de l’exactitude de la description, elle est de savoir de quel type d’hypothèse on a besoin pour traiter de l’action (politique ou économique).
Dès lors, notre intérêt est moins de vouloir savoir quelle représentation entre Crazy, Lazy ou autres alternatives à l’animal laborans, est la plus authentique ou la plus répandue, que d’identifier les implications de l’usage de chacune dans le débat sur le RBI et, éventuellement, les facteurs structurels en cause dans leur vérification empirique. Aux antipodes d’une posture naturaliste, nous terminons donc cet article en montrant les enjeux de l’avènement d’un présupposé normatif alternatif à l’animal laborans et en quoi les discours de défense du RBI, en plus de pouvoir y gagner en cohérence, apparaissent comme particulièrement propices pour l’employer et le faire advenir.
4 – Les enjeux de l’empowerment de l’agent économique dans le débat sur le RBI
Concernant les alternatives possibles à l’animal laborans, notons qu’en philosophie politique existent depuis l’antiquité diverses conceptions de l’Homme radicalement opposées à l’animal laborans. Ainsi le zoon politikon d’Aristote, guidé par une éthique de la vie bonne ancrée sa participation aux affaires de la cité, continue d’influencer les versions communautarienne et humaniste-civique du républicanisme où règne l’homo politicus, citoyen actif manifestant sa vertu et son attachement à sa communauté dans l’espace public. Par ailleurs, à mi-chemin entre le républicanisme classique et le libéralisme politique, se trouve une diversité d’approches qui, tout en se voulant d’une grande tolérance face à la diversité des conceptions de la vie bonne, reconnaissent qu’une communauté composée de citoyens apathiques, qui ne s’en remettraient qu’à la justice et aux logiques du marché pour assurer l’ordre social, serait condamnée à la violence ou au despotisme. Nous retrouvons ici le républicanisme tocquevillien, qui attira la sympathie de nombreux libéraux à l’instar Rawls ou de Aron, ainsi que les récentes théories néo-républicaines (Skinner 2000 ; Viroli 2011). Qu’elles en appellent aux éthiques des vertus, au « sentiment du semblable » ou à la simple volonté de vivre ensemble pacifiquement, ces diverses approches reconnaissent que la capacité de l’individu à se soucier de l’intérêt collectif en même temps que de ses intérêts privés dans l’enceinte démocratique est une condition indispensable pour la préservation des droits et libertés fondamentales. Cette idée se retrouve aussi dans la notion de responsabilité sociale définie ainsi par Thunder (2009, 561) :
To have a sense of social responsibility is to see beyond my own narrow interests and to have an outward-looking mentality ; to be willing to do my part to further the good of my fellows and to further, however modestly, the good of my surrounding society and polity. It involves a recognition that insofar as I benefit, in whatever way, from participating in the social order, I have a responsibility to contribute towards its maintenance, or, where necessary, towards its improvement. Put a little differently, social responsibility is essentially a proactive sensitivity to the needs and interests of one’s social environment and those who share the same social space, broadly construed.
Des appels à une « responsabilité sociale » recouvrant un sens analogue sont aussi présents du côté de la science économique où, comme le révèle la recrudescence depuis les années soixante-dix des réflexions sur la « moralisation du capitalisme » ainsi que l’institutionnalisation de concepts tels que l’« économie sociale et solidaire » ou « la responsabilité sociétale des entreprises »28, le besoin de mettre les agents économiques face à leurs responsabilités sociales et environnementales s’est fait de plus en plus criant. Nombreux économistes ont alors critiqué le modèle standard de la théorie du choix rationnel et cherché à lui intégrer des considérations morales voire non-utilitaristes29.
Nous nous contentons pour notre part de défendre, pour les raisons que nous allons énoncer maintenant, une représentation de l’agent d’autant plus opposée à l’animal laborans qu’elle est présumée « apte à la liberté ». Il convient d’inscrire ce postulat dans une perspective que nous qualifions de « libérale-républicaine » permettant de faire ressortir son attachement non seulement à la possibilité pour l’individu de poursuivre sa conception de la vie bonne quelle qu’elle soit (dimension libérale) mais aussi à la faculté de ce dernier à définir et concevoir cette vie bonne comme sa manière propre d’exister dans le monde commun, autrement dit, indissociablement d’une certaine conception de son rôle vis-à-vis de la res publica (dimension républicaine). Il est néanmoins aussi possible de voir dans cette proposition une base anthropologique neutre susceptible de supporter la plupart des représentations que nous venons de mentionner. Avant de montrer en quoi les discours de défense du RBI peuvent faire advenir ce postulat alternatif, arrêtons-nous sur les raisons de s’opposer au présupposé de l’animal laborans.
Parmi ces raisons, il est premièrement important de remarquer la profonde incohérence à militer en faveur d’un RBI « émancipateur » sur la base d’une représentation de l’agent, qui ne fait que trop peu cas de la liberté, en raison de son incapacité en avoir un usage satisfaisant. Par sa présumée apathie à l’égard de sa finalité existentielle et de son inscription dans le monde commun, le principe même de prôner son émancipation résulte absurde dans la mesure où cette liberté se traduirait soit en un renforcement de la société du masse uniforme, apolitique, à la fois atomisée et grégaire telle que dépeinte par Arendt (1983) où les comportements économiques mimétiques découlent d’angoisses existentielles inassumées (Arnsperger 2005) ; soit en des comportements compromettant directement les conditions matérielles d’existence de la communauté politique. Ainsi, il est envisageable, avec ou sans RBI, que la liberté persiste dans sa conception vulgaire à savoir celle de la consommation de biens et services prédéterminés et du divertissement (au sens pascalien) évinçant toutes les autres dimensions de la vie humaine, et notamment la skholè30.
Au-delà de cette incohérence discursive a priori anodine, il est important de saisir le caractère non seulement apolitique de l’animal laborans (du fait de son désintérêt pour tout ce qui se situe en dehors de sa sphère privée) mais aussi anti-démocratique – particulièrement préoccupant pour qui voit dans la démocratie le système le plus à même de protéger les droits et libertés de chacun. Dans les analyses arendtiennes sur la montée des totalitarismes au xx e siècle, l’animal laborans est problématique à deux égards interdépendants. Le premier est la disparition du monde commun qui subvient quand la subjectivité individuelle ne s’exprime plus et s’enferme dans la sphère privée. Selon Arendt, c’est de la rencontre de l’unicité et du potentiel créatif et réflexif de chacun dans la sphère publique que se manifeste la diversité humaine et la possibilité même de l’expérience commune. Ici « l’attitude qui consiste à se borner à travailler et à consommer est très importante parce qu’elle dessine les contours d’un nouvel acosmisme : savoir quel est le visage du monde n’importe plus à qui que ce soit. » (Arendt 1987, 252 citée par Azam 2009, 333). C’est dans cette « perte du sentiment d’appartenance au monde » aussi désignée par Arendt (1972) par la notion de « désolation » – qui est, par ailleurs, « étroitement liée au déracinement et à l’inutilité dont ont été frappées les masses modernes depuis le commencement de la révolution industrielle » (ibid., 307) – que réside le deuxième danger inhérent à l’animal laborans : son incapacité à former un jugement autonome sur l’ordre des choses et à agir sur le monde. Avec le triomphe de l’animal laborans, le monde commun disparait, emportant finalement avec lui toute possibilité d’émergence des vertus qui pourraient s’en soucier. Faute de se sentir exister dans le monde commun et de pouvoir y chercher du sens, l’animal laborans vit par défaut, de manière moutonnière, obéissant et facilement manipulable, se contentant de réagir aux stimuli qui l’entourent. Rouage interchangeable du système, il devient porteur de la « banalité du mal » (Arendt, 2003) pour autant que son absence de faculté à penser ses actes peut le mener à contribuer à des processus des plus liberticides. Cette analyse rend d’autant plus critiquables les stratégies d’activation de l’offre de travail par l’attractivité de l’emploi évoquées partie 4. Celles-ci, en entérinant la figure de l’animal laborans incapable de choisir sa contribution au monde, alimentent un cercle vicieux qui, selon Hambye et al. (2013, 89), empêche l’émancipation en finissant par « rendre relativement tolérable un ordre social foncièrement inégalitaire et contraire à l’imaginaire démocratique censé fonder nos systèmes politiques »31.
Dans la même veine, l’inaptitude à la liberté de l’animal laborans résulte aussi incompatible avec l’ambition polanyienne (1983), que font généralement leur les défenseurs d’un RBI radical, de mettre l’économie et le travail au service de finalités supérieures. Dans cette optique, les agents devraient pouvoir s’épanouir comme ils le souhaitent, notamment via le marché, mais pour des raisons qui leur sont propres et non préétablies par ce dernier. Or, à partir du moment où l’agent n’a pas les moyens de préexister au marché mais attend de lui des signaux pour doter de sens son existence et non seulement la renseigner (par l’efficacité reconnue de celui-ci à agréger une multitude d’informations relatives à l’état des ressources et aux préférences des agents), la mise en conformité des activités économiques avec la dignité humaine et sa survie d’un point de vue écologique est difficilement concevable. L’agent demeure « a play-thing of powers » (Brown 2015) et la question « qui décide ? » (sans entrer dans les considérations philosophiques sur l’existence du libre-arbitre), fondamentale à l’heure où les enjeux politiques globaux associés à la gestion des externalités sociales et environnementales négatives des activités humaines et à la préservation des biens collectifs tendent à surpasser les intérêts nationaux en matière de production économique, demeurera sans réponse.
Enfin, un dernier point essentiel à relever pour comprendre la nécessité de recourir à un postulat alternatif à celui de l’animal laborans est sa dimension performative. De fait, ce présupposé apparait comme une microfondation des plus illibérales dans la mesure où les politiques régissant l’ordre social qu’il inspire amenuisent considérablement les possibilités d’existence de comportements qui pourraient l’infirmer. Difficile en effet pour l’agent de prouver son aptitude à la liberté dans la sphère autonome quand celle-ci est dépourvue de sécurité matérielle ou que plane sur elle l’éthique de la valeur travail stigmatisant quiconque qui s’y aventurerait du statut de parasites. Dans ces conditions, il est impossible de savoir si les préférences exprimées par Crazy pour l’emploi sont réelles ou simplement adaptatives32. Le refus d’accorder à l’individu son « droit de retrait » des circuits économiques conventionnels, c’est-à-dire sa liberté de choisir sa manière de contribuer au monde, condamne les comportements alternatifs qui pourraient se développer dans la sphère autonome ou dans un tiers secteur au rang d’exceptions insuffisantes pour le remettre en cause.
Ayant compris l’urgence à rejeter le postulat de l’animal laborans, nous défendons pour finir l’idée que le RBI constitue une opportunité exceptionnelle pour ce faire, et ce, pour la simple raison que le RBI, dans ses versions radicales, est inconcevable – c’est-à-dire indéfendable de manière cohérente – à partir ce présupposé. Déjà, comme nous l’avons vu, sa défense sur au nom de Crazy en plus d’être très bancale comparativement à d’autres politiques économiques visant le plein emploi, n’échappe pas au risque majeur que les Crazy se transforment en Lazy, menant aux scenarios du pire redoutés. Ainsi, la volonté de rompre le lien de subordination attachant depuis l’essor de la société industrialo-capitaliste le travailleur à l’emploi, à savoir la sécurité matérielle (salaire et ensemble de droits sociaux et politiques attenants), n’a de sens qu’à condition de croire en la capacité de l’homme à concevoir son existence indépendamment de l’emploi rémunéré. En ce sens, la défense du RBI au nom de Lazy ne tient aussi qu’à condition de reconnaitre la capacité de ce dernier, en dépit de sa préférence pour le hors-emploi, à identifier le rôle qu’il veut tenir vis-à-vis du monde qui l’entoure et ainsi être maître de son existence.
Le RBI est finalement l’occasion d’une des plus fortes revendications de ce qui pourrait être un principe de « présomption d’aptitude à la liberté »33 qui, en conclusion du raisonnement qui précède, affirme qu’il est plus grave de priver un citoyen de la possibilité d’avoir un usage effectif de sa liberté, que de prendre le risque qu’il ne contribue pas au système de coopération productive. Dans cette optique, le RBI apparait comme une opportunité pour mettre à jour – et partant, pour mettre la collectivité face à son devoir d’assumer – les profondes inégalités en matière d’aptitude à la liberté qui demeurent entre citoyens en dépit de leur intégration par l’emploi. Incorporé dans un paradigme cohérent fondé sur la présomption d’aptitude à la liberté (dans la sphère autonome), un RBI radical ne peut être défendu séparément d’un projet visant à remédier directement, sans la médiation de l’emploi, à ces inégalités. Cela est par exemple possible en adoptant une approche par les capabilités34. L’approche « capabiliste » apparaît particulièrement adaptée pour soutenir cette représentation de l’agent-citoyen présumé apte à la liberté dans la mesure où elle reconnait que la distribution des biens premiers nécessaires à chacun pour vivre « the kind of lives they value – and have reason to value » (Sen 1999, 18), est indissociable du renforcement des facteurs de conversion35 nécessaires pour une traduction effective de ces biens premiers en une variété de fonctionnements. Ce n’est qu’à condition qu’il ait un réel accès à certains fonctionnements de base que l’individu pourra effectivement définir et poursuivre sa conception de la vie bonne ou, au pire des cas, la défendre dans la sphère publique. La manière dont l’emploi fait office, dans certaines situations actuelles, de « cache-misère » masquant le profond déficit de capabilités dont souffrent nombre d’individus dans la définition et/ou la poursuite de leurs aspirations, est remarquable dans les objections féministes au RBI. Ces dernières, qui expriment fréquemment une crainte que le « RBI renvoie les femmes aux fourneaux » tel un « salaire maternel », trahissent l’inefficacité des politiques soutenues par l’éthique de la valeur travail à traiter les causes fondamentales de l’inaptitude à la liberté dans la sphère autonome, et ce, en dépit des nombreuses avancées sociales dont l’emploi a été le vecteur depuis le xixe siècle. Pire encore, en invisibilisant les symptômes de ces inégalités, l’emploi peut masquer leur gravité et retarder leur traitement. Car le problème dans cet exemple comme dans bien d’autres, n’est évidemment pas la sécurité matérielle que confère le RBI aux femmes, mais leur éventuel déficit de capabilités fondamentales, auquel la société centrée sur la valeur travail n’a toujours pas su remédier et dont elles souffrent certainement dans la sphère hors-emploi (contraintes, par exemple, à une « double journée »).
Inversement, une approche par les capabilités ne peut être adoptée dans le paradigme du compromis social capitaliste où l’action de l’État est centrée – parce qu’imprégnée de la représentation de l’animal laborans et se situant dans un contexte économique soumis à la concurrence internationale – sur la réduction du chômage par des politiques actives de soutien à la production. L’un des secteurs où se révèle de manière particulièrement saillante cette inconciliabilité paradigmatique entre empowerment (renforcement des capabilités) et le présupposé de l’animal laborans, est l’éducation. Comme le remarque Brown (2015, 24) « once about developing intelligent, thoughtful elites and reproducing culture, and more recently, enacting a principle of equal opportunity and cultivating a broadly educated citizenry, higher education now produces human capital », en expliquant finalement que :
With the vanquishing of homo politicus, the creature who rules itself and rules as part of the demos, no longer is there an open question of how to craft the self or what paths to travel in life. This is one of the many reasons why institutions of higher education cannot now recruit students with the promise of discovering one’s passion through a liberal arts education. Indeed, no capital, save a suicidal one, can freely choose its activities and life course […] human capital leaves behind not only homo politicus, but humanism itself.(ibid., 41)
Ce constat de la transformation de l’éducation à des fins de compétitivité économique, aussi retracé dans l’opposition de Nussbaum (2011) entre « éducation pour le profit » et « éducation pour la démocratie », laisse à penser que toute tentative de faire du système éducatif un moyen d’élargir le champs des possibles à la portée de l’individu ainsi que sa lucidité existentielle apparait vaine si elle n’est pas associée à une valorisation de la sphère autonome36. L’éducation à la liberté requiert par exemple le retour en force des liberal arts dans les curricula, essentiels pour que l’individu développe sa subjectivité et puisse décider de sa contribution au monde par l’acquisition d’une pensée autonome, critique, éclairée, sensible et bienveillante, capable de résister aux tentations, aux manipulations et aux explications simplistes. Là encore, nous remarquons que le triomphe du savoir nécessaire à l’animal laborans sur ces savoirs issus de l’expérience sensible, des arts et lettres ou des sciences humaines et sociales avait aussi été appréhendé par Arendt (1972, 229-30) :
La seule faculté de l’esprit humain qui n’ait besoin ni du moi, ni d’autrui, ni du monde pour fonctionner sûrement, et qui soit aussi indépendante de la pensée que de l’expérience, est l’aptitude au raisonnement logique dont la prémisse est l’évident par soi. […]. C’est la seule « vérité » à laquelle les êtres humains peuvent se raccrocher avec certitude, une fois qu’ils ont perdu la mutuelle garantie, le sens commun dont les hommes ont besoin pour éprouver, pour vivre et pour connaître leur chemin dans le monde commun. Mais, cette « vérité » est vide, ou plutôt elle n’est aucunement la vérité car elle ne révèle rien.
Nous voyons qu’une défense cohérente du RBI sur la base d’un postulat présumé digne de liberté dans la sphère autonome requiert – et partant, justifie – tout un ensemble de politiques publiques (concernant non seulement l’éducation, mais aussi l’insertion, l’aménagement du territoire, etc.) moins soucieuses de l’employabilité et de la contribution de chacun à la création de valeur économique que de leur empowerment (qui implique un renforcement des capabilités non seulement d’un point de vue des dispositions matérielles, mais aussi du point de vue des facultés morales, intellectuelles, relationnelles, sensibles et psychiques en lien avec l’environnement social). Ce n’est qu’à ces conditions que sera donnée au plus grand nombre la chance de pouvoir construire et poursuivre persévéramment leur conception de la vie bonne de manière éclairée et consciente de leur interdépendance au monde commun.
Pour finir, remarquons que dans cette perspective, il est contreproductif de nier dans le débat sur le RBI le risque de free-riding. Car même si la défense d’un RBI radical doit reconnaitre le droit de l’individu à se réaliser dans la sphère hétéronome aussi bien que dans la sphère autonome, en passant ses journées à surfer ou à s’avachir sur son canapé, il n’en demeure pas moins que les comportements a priori peu contributifs comme ces deux derniers, s’ils se généralisaient, conduiraient inéluctablement au chaos socio-économique redouté. Or, parce que de tels comportements sont en première hypothèse les manifestations d’une inaptitude à la liberté, ils doivent, selon notre approche capabiliste, être traités de la sorte, c’est-à-dire au prisme des ressources et des facteurs de conversion à la disposition des agents (sentiment d’appartenance au monde commun, accès à l’information ou aménagements pour personnes à mobilité réduite, pour ne citer que quelques exemples parmi une infinité d’autres). En deuxième hypothèse, les attitudes perçues comme réfractaires doivent aussi questionner la communauté sur les moyens qu’elle met en œuvre pour favoriser l’inclusion et la participation de chacun dans les processus démocratiques (capabilités politiques), afin que toutes les représentations du monde puissent y être appréciées. Enfin, ce n’est qu’en dernier recours après ces deux étapes, que ces comportements doivent finalement être perçus au niveau de la collectivité comme des conceptions de la vie bonne à respecter et tolérer comme n’importe quelles autres. La différence de cette approche avec les logiques actuelles est ici frappante dans la mesure où la moindre contribution, plus ou moins délibérée, de l’individu au système de coopération productive n’y est remédiée ni par le « bâton » – c’est-à-dire la contrainte de la nécessité (l’obligation de travailler) – ni par la « carotte » – c’est-à-dire l’accentuation des incitations sélectives positives (stimuli économiques, psycho-sociaux, etc.) –, mais par une analyse capabiliste visant l’empowerment.
L’empowerment ainsi associé au RBI suffit-il à garantir la viabilité socio-économique du système ? Certainement pas. Mais face aux menaces que fait peser la prégnance de l’animal laborans dans la doxa contemporaine sur le fonctionnement démocratique, et par là, sur les enjeux sociaux et environnementaux de notre temps, il apparait comme un pari sur la nature humaine qui doit être fait de toute urgence. Le RBI, parce qu’il porte en lui la présomption que l’individu est capable de préexister à l’activité économique et, partant, de mettre le système de coopération productive et les progrès techniques qui en émanent au service d’un avenir viable et démocratique, est la matérialisation de ce pari. Un pari s’inscrivant nécessairement dans un projet politique mettant tout en œuvre pour qu’il soit gagnant.
Conclusion
Comment expliquer la persistance historique de l’indignation morale et des inquiétudes économiques suscitées par les principes d’universalité et d’inconditionnalité du RBI dans le débat public ? Un premier élément de réponse indirectement apporté à ce questionnement liminaire dans l’article est l’apparente inextricabilité du débat où une quantité de propositions aux finalités distinctes se recoupent souvent, voire militent conjointement, pour finalement occasionnellement s’affronter avec ardeur (notamment au sujet du montant et du financement). Cette difficulté à « savoir de quoi on parle », fortement ressentie par exemple lors de la campagne préréférendaire suisse, est incontestablement en partie responsable de cet état de fait. Dans ce contexte, notre choix a été de concentrer notre étude sur les propositions bien identifiables que sont les RBI que nous avons qualifiés de « radicaux ».
Au-delà de ces considérations pratiques, notre hypothèse, qui suspectait un désaccord fondamental au niveau des présupposés anthropologiques mobilisés dans chacun des deux camps, partiellement vérifiée dans la partie 3, a finalement été invalidée dans la partie 4. En effet, alors que les objections courantes contre le RBI se focalisent, comme nous l’anticipions, sur une représentation particulièrement encline au free-riding, rappelant la thèse olsonnienne de la « zéro contribution », nous avons remarqué que la plupart des défenses du RBI, malgré leurs diverses stratégies d’invalidation de cette représentation fataliste de l’agent, ne parviennent pas à en sortir complètement. Face à la question incontournable de la soutenabilité économique de leur utopie, ils auront même tendance à y recourir largement, entérinant, ce faisant, un paradigme contraire à leur ambition polanyienne de « remettre l’économie au service de l’humain ». Ce postulat anthropologique, dans lequel nous avons vu la figure arendtienne de l’animal laborans, provoque dans les discours en faveur du RBI qui le mobilisent, de nombreuses confusions discursives, que nous avons alors soulignées et qui participent peut-être à la sclérose du débat. Enfin, conscients des dangers que fait planer le recours au postulat performatif de l’animal laborans sur la viabilité des sociétés démocratiques, nous avons remarqué en quoi le RBI apparait comme une opportunité exceptionnelle pour faire advenir un présupposé alternatif (partie 5), tel que celui libéral-républicain que nous avons proposé. Ce présupposé, qui pourrait servir de base solide à l’élaboration d’un paradigme des plus exigeants en matière d’émancipation, reposant sur l’empowerment (renforcement des capabilités) dans la sphère autonome, permettrait aux argumentaires pro-RBI de regagner en cohérence tout en les poussant à assumer la normativité dont leur utopie a besoin pour gagner en crédibilité et devenir réalité.
Certains militants pro-RBI reprocheront à cette approche de compromettre l’instauration du RBI en les éloignant encore davantage de leurs détracteurs, et ce alors que les urgences sociétales auxquelles veut répondre le RBI ne peuvent s’offrir le luxe d’un tel contretemps. Ils complèteront parfois cette critique en prédisant que l’émancipation des « minorités agissantes » suffira bien a posteriori pour recadrer les enjeux du RBI. Admettons. Mais si nous reconnaissons comme Pateman (2004) le caractère didactique voire performatif du débat préalable à l’introduction d’un RBI, la première étape vers le ré-encastrement de l’économie ne serait-elle pas, en ces temps d’abondance, de saisir cette opportunité que nous donne le débat sur le RBI de pointer du doigt les catastrophes qui nous attendent si nous continuons à nous sous-estimer ?
Image 2
Photos de mobilisations militantes de surfeurs aux États-Unis dans les années quatre-vingt
(© surfrider.org)
Notes
- L’auteur tient à remercier les rapporteurs anonymes de la revue pour la richesse et la pertinence de leurs critiques et suggestions, qui ont permis une amélioration substantielle de ce texte. Merci également à Gabriel Salerno, David Smadja, Sophie Swaton et Sylvie Thoron pour leurs remarques et conseils sur des versions antérieures. ↩︎
- En plus du projet d’expérimentation en Finlande qui fit parler du RBI internationalement, en France, deux rapports officiels, l’un sur l’économie numérique et l’autre sur les minimas sociaux, remis respectivement au gouvernement en janvier et avril 2016, intégraient l’idée d’un revenu de base. En octobre 2016, un autre rapport issu des travaux d’une mission d’information du Sénat, encourageait la mise en place d’expérimentations dans les territoires volontaires. ↩︎
- Cette observation a porté sur le traitement du RBI sur la scène politico-médiatique et dans la société civile auprès du Mouvement français pour un revenu de base (MFRB), de l’Association pour l’instauration d’un revenu d’existence (AIRE), de la section vaudoise du Basic Income Earth Network (BIEN-Suisse) et du comité porteur de l’initiative fédérale « revenu de base inconditionnel ». Ces organisations furent observées dans leurs débats internes et dans leurs activités externes (lobby politique, débats populaires et sensibilisation dans des lieux publics). ↩︎
- La deuxième partie de ce constat dénonce principalement l’inefficacité du système de prestations sociales (caractérisé par une lourde bureaucratie, des effets de seuils désincitatifs et un fort taux de non-recours) et le « mythe du plein emploi » dans un contexte où diverses études prédisent une destruction massive d’emplois du fait de l’automatisation et de la numérisation des tâches. ↩︎
- Alors que certains partisans insistent sur le caractère déterminant du mode de financement choisi (Arnsperger 2015 ; Young 2017), d’autres font remarquer que la finalité émancipatrice du RBI pourra être atteinte pourvu que la sécurité matérielle de l’individu soit assurée. En outre, d’autres critères tels que l’individualité, la fréquence et la nature des versements apparaissent comme secondaires car rarement remis en question dans les débats internes. ↩︎
- Comprise au sens sociologique, que nous désignerons aussi par l’expression « éthique de la valeur travail ». Précisons que les citations entre guillemets dépourvues de références tout au long de l’article se rapportent généralement à des expressions usitées sur les terrains suisse et français observés. ↩︎
- L’Alaska Permanent Fund est un fonds souverain créé à partir d’un amendement à la Constitution de l’Alaska en 1976. Alimenté par au moins 25 % des revenus pétroliers, ses dividendes sont depuis 1982 distribués annuellement à tous les résidents de l’État. ↩︎
- « There is nothing in the definition of basic income, as it is here understood, to connect it to some notion of basic needs. A basic income, as defined, can fall short of or exceed what is regarded as necessary to a decent existence. » (Van Parijs 1998, 35) ↩︎
- Le mouvement européen Unconditional Basic Income Europe (UBIE) explicite le principe de suffisance en ces termes : « [Basic income is] High enough : The amount should provide for a decent standard of living, which meets society’s social and cultural standards in the country concerned. It should prevent material poverty and provide the opportunity to participate in society and to live in dignity. […] We emphasize that UBI should not replace the compensatory welfare state but rather complete and transform it into an emancipatory welfare system. » (http://basicincome-europe.org/ubie/unconditional-basic-income/ consulté le 7 mai 2016). ↩︎
- Voir image 1. ↩︎
- Nous nous limitons à ces deux objections qui ressortent dans les débats observés comme les plus tenaces chez les opposants au RBI toutes sensibilités politiques confondues. L’objection liée à la question migratoire, selon laquelle le RBI créerait « un appel d’air » pour une « immigration sociale », quoique faisant aussi partie des arguments les plus répandus apparait davantage comme un argument concomitant que substantiel des discours anti-RBI. ↩︎
- L’exemple des « surfeurs-hippies de Malibu », né d’une conversation entre Van Parijs et Rawls en 1987 (Van Parijs 1991), a depuis acquis un caractère canonique, ne cessant d’être repris dans les débats académiques sur le RBI. ↩︎
- Situation qui irait de pair avec la consécration de nouveaux indicateurs de richesse, de bien-être et de progrès social supplantant le PIB. À cet égard, Bina et Vaz (2011, 172) remarquent : « Today’s ‘beyond GDP’ discussions (Stiglitz et al., 2009), and the search for a new meaning of progress (Costanza et al., 2009 ; OECD, 2010a) and prosperity (Jackson, 2009) are testament to the need to rediscuss the aim of our socio-economic systems. However, progress in combining the macro, system level perspective (the economy and the biosphere), with the micro level question of who we are and how this shapes our behaviour to and relationship with nature, remains limited. » ↩︎
- Voir Levine 1995 ou Pateman 2004, 99 qui insiste particulièrement sur le free-riding masculin vis-à-vis du travail domestique des femmes. ↩︎
- Remarquons avec Gollain (2015) que l’opposition de Gorz entre sphère des activités autonomes et sphère hétéronome, initialement formulée par Illich, rejoint l’opposition marxienne entre « sphère de la liberté » et « sphère de la nécessité ». ↩︎
- Pour un aperçu de la contribution de l’ONG à la production scientifique voir l’article de Weisbein (2015) signalé par un rapporteur anonyme. ↩︎
- Pour Ferry (1995) le secteur quaternaire comprend des activités non automatisables ayant une forte dimension personnelle, psychologique et/ou relationnelle. Pour Sue (1995, 410) le secteur quaternaire est un secteur « d’autoproduction collective fondé sur l’engagement volontaire dans des associations […] [qui] remplit de nombreuses fonctions d’utilité sociale dans le domaine de l’éducation, de la culture, de l’information, de la santé, de l’environnement, etc. » ↩︎
- Ostrom (2000) fait référence à la fameuse observation de Titmuss (1970) sur la désincitation provoquée par la rémunération du « don du sang », ainsi qu’aux travaux de Deci et al. (1999) et de Frey et Jegen (1999, publié en 2001) auxquels nous pouvons ajouter les expériences portant sur de jeunes enfants de Warneken et Tomasello (2008). ↩︎
- Nous mettons ici de côté toutes les explications échappant à la scientificité notamment celles confessant croire en un ordre spontané où l’atteinte d’un optimum économique reposerait non plus sur les mécanismes d’allocation des ressources conventionnels mais sur l’adéquation naturelle de la pluralité des « vocations individuelles », ou encore sur une proportion spontanément complémentaire de Lazy et de Crazy. Remarquons néanmoins que ces explications s’accommoderaient particulièrement bien du courant de l’éducation nouvelle selon lequel il existerait un « travail naturel » qui ne provoquerait pas la lassitude parce que s’inscrivant « dans la ligne de vie » de chacun (Freinet 1964). ↩︎
- http://initiative-revenudebase.ch/blog/2016/01/27/resultats-premier-sondagerepresentatif-suisse-continuera-a-travailler/ consulté le 28 octobre 2016. ↩︎
- Il est surprenant de remarquer que cette phrase a subi une modification par rapport à une version antérieure (datée de mai 2015) du dossier de presse dont elle est tirée. La version de 2015 faisait en effet encore de l’agent le sujet de l’action, et non un objet passif – ou « play-thing of powers » pour prendre une expression de Brown 2015) – en indiquant que : « Un salaire suffisant devra être offert pour qu’une personne disposant du RBI choisisse de s’engager » (nos italiques). ↩︎
- Comme le rappellent Kirman et Teschl, (2010, 114) « A simple summary of the economic theory of the individual is that he makes the best choice available to him. Economic theory does not say why he does so but simply imposes consistency conditions on his choices. What can be thought of, and is often expressed as, the standard view of a purely selfish agent may persist simply because it is has become a norm and not for any logical or scientific reasons. Yet nothing in theory says that the economic agent needs to behave this way, that is to confine his interests to purely personal variables. The assumption of purely selfish behaviour has led to many interesting insights and was certainly a useful assumption in many market situations, but as already mentioned, economists from at least Robbins onwards have argued that economic theory has the tools to incorporate behaviour that is also based on other motivations than selfishness. » ↩︎
- Le travail et la consommation sont pour Arendt les deux composantes d’une même logique qui raccroche l’homme à sa condition d’animal centrée sur ses besoins biologiques. Nous remarquons que l’opposition arendtienne entre travail-œuvre-action est contigüe à la distinction aristotélicienne entre poiésis et praxis à la gorzienne entre activités hétéronomes et autonomes. ↩︎
- Nous faisons ici allusion à l’opposition qu’Arendt (2003) marque entre obéissance et consentement. Quand l’individu n’a pas d’alternative (elle prend l’exemple de l’enfant ou de l’esclave), comme un agent devant assurer sa subsistance sur un marché hyperconcurrentiel, il obéit. En situation de choix, en revanche, « if an adult is said to obey, he actually supports the organization or the authority or the law that claims “obedience” » (ibid., 46). ↩︎
- Comme en témoignent le slogan phrase de la campagne pré-référendaire suisse « Avec le RBI je choisi ma vie » ou l’intitulé de l’ouvrage du MFRB (2017) « Pour un revenu universel de base : Vers une société du choix ». ↩︎
- Le MFRB (2016) précise : « en rendant chaque personne autonome, le revenu de base permettrait à chacun-e de s’orienter vers des activités qui lui semblent naturellement bénéfiques et légitimes, plutôt qu’en étant guidé par les lois du marché du travail ». ↩︎
- Cf. Direction de l’information légale et administrative. (2006, May 30). Une citoyenneté en crise – Le citoyen dans la cité – Découverte des institutions – Repères – Vie-publique.fr. Consulté le 27 octobre 2016 sur http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/citoyen/enjeux/crise-citoyennete/ ↩︎
- Pour une analyse rétrospective du concept de RSE voir Swaton 2016. ↩︎
- Pour une tentative d’intégration des vertus aristotéliciennes voir van Staveren 2001, de l’impératif catégorique de Kant voir M. D. White 2004, de l’altruisme voir Thoron 2017 ou même des pulsions révolutionnaires voir Arnsperger et De Villé 2002. En économie environnementale Bina et Vaz (2011, 170-1) soulignent qu’il y a « an urgency to revisit the notion of economic actor and the conception of human being therein, which is fundamental to economic theory, and practice. […] A new sense of responsibility for the choices and lifestyle of all people across the globe is crucial if we aim for an ecologically sustainable future. » ↩︎
- La skholé grecque est un temps libéré de la nécessité (et donc du travail hétéronome), qui s’oppose au divertissement en ce qu’il permet de développer un rapport lucide et serein au monde. C’est d’ailleurs parce qu’il comprend les activités studieuses, intellectuelles, culturelles ou spirituelles, qu’il constitue l’étymologie du mot « école » dans de nombreuses langues. La sckholé peut être perçue comme un temps indispensable en ce qu’elle représente à la fois « [C]e temps “gratuit”, “inutile” en quelque sorte, pour rien d’autre que la connaissance de soi et d’autrui. » (Paquot 2014, 26) et « la plus déterminante de toutes les conditions sociales de possibilité de la pensée “pure” » (Bourdieu 1997, 27). ↩︎
- Dans la lignée des travaux de Lordon (2010), Hambye et al., (2013) dénoncent la tendance du capitalisme néolibéral à faire du salariat « l’alpha et l’oméga de l’existence, le lieu de l’épanouissement individuel, de manière à ce que les travailleurs envisagent leur activité au service du patronat comme le prolongement de leurs propres désirs. » conduisant, in fine, « à ce que le seul horizon envisageable pour la majorité des individus revienne à obtenir leurs moyens de subsistance en se conformant, parfois corps et âme, au projet d’une élite économique toujours plus restreinte (Beaud 2010) » (ibid., 93) ↩︎
- Les préférences adaptatives, largement développées par Sen et Nussbaum, surviennent quand « les individus ne choisissent pas librement, mais adaptent leurs préférences et leurs décisions aux normes sociales et possibilités socioéconomiques en vigueur » (Bonvin et Farvaque 2007, 13). ↩︎
- Cette dénomination a été inspirée par la mise en contraste faite par Vandamme (2017) entre le principe de présomption d’innocence (protégé par l’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme) et la culture de « soupçon généralisé » envers les chômeurs que révèlent certaines politiques d’activation. ↩︎
- Au lieu de définir l’égalité en termes d’utilité ou de bien premiers, Sen (2000) propose de la concevoir en termes de « capabilités » définies comme « les diverses combinaisons de fonctionnements (états et actions) que la personne peut accomplir » (ibid., 66) Les capabilités traduisent la liberté réelle de l’individu du point de vue non-subjectif de l’étendue des opportunités, et donc des fonctionnements, qu’il peut effectivement poursuivre. ↩︎
- Comme le rappelle Robeyns (2005), trois types de facteurs de conversion se retrouvent dans l’œuvre de Sen : les facteurs personnels (capacités physiques, intellectuelles, compétences, etc.), les facteurs sociaux (normes sociales et religieuses, politiques publiques, etc.) et les facteurs environnementaux (climat, géographie, infrastructures, etc.). ↩︎
- Le constat de Brown est partagé par Scitovsky (1973, 230-1) qui, au sujet des classes oisives de la période préindustrielle, reconnait que « We owe to them most of our heritage of art, architecture, literature, philosophy, and sports […] Leisure, for most of these leisure classes, was a pretty strenuous activity, no less highly skilled than production, and requiting rather more training, practice, and general education. » Il s’étonne alors du paradoxe provoqué par le dénigrement moderne de la sphère hors-emploi : « […] demands of technical progress for more vocational training encroach more and more upon the general, cultural parts of the curriculum. It is paradoxical that this should happen at the very time when the same technical progress makes available more leisure and so would call for more, rather than less, preparation for leisure. » ↩︎
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